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coûte de porter un tel jugement et de trouver inutiles tant de vertus, il en coûte davantage d’avoir à frapper d’un arrêt plus sévère encore l’héroïque noblesse française, en la montrant si tristement inférieure à sa tâche durant cette minorité de Louis XIV, qui fut peut-être l’époque décisive de son histoire. Du moment où elle eut pris la direction du mouvement organisé d’abord par la bourgeoisie contre le cardinal Mazarin, ce ministre vit fort bien que le péril d’une révolution politique était écarté, et qu’il n’avait plus à faire face qu’à une grande intrigue tramée dans les salons, continuée sur les champs de bataille, et qu’il s’agissait de dénouer par le procédé immémorial usité depuis la guerre du bien public. On sait comment s’opéra cette substitution de l’influence aristocratique à l’influence parlementaire, et quelles circonstances firent succéder la fronde des princes à celle des magistrats.


IV

Ce n’est point avec quelques régimens de gardes bourgeoises et le produit de la taxe des portes cochères qu’il venait de décréter que le parlement pouvait entretenir une armée, et que la population parisienne pouvait soutenir un siège. Fort résolus à tromper les prévisions de la cour et à ne pas se rendre la corde au cou sitôt que le pain de Gonesse viendrait à leur manquer, les citoyens étaient contraints de chercher des chefs en dehors de leurs propres rangs, au risque de voir leur cause y perdre bientôt son propre caractère. Dans un temps où les forteresses appartenaient à leurs commandans, où les provinces se trouvaient dans la dépendance personnelle de leurs gouverneurs, où les généraux désignaient eux-mêmes tous leurs officiers, il fallait, pour opposer une armée à celle de la cour, que l’insurrection se donnât des chefs titulaires des grandes charges et des grands commandemens militaires. Aussi quelles acclamations ne retentirent point dans Paris lorsqu’on y vit entrer, pour offrir son épée au parlement, le duc d’Elbeuf, qui, tout cadet ruiné qu’il était, n’en appartenait pas moins à ce sang de Lorraine cher à la bourgeoisie française depuis la grande lutte religieuse ! En même temps se présentait le duc de Bouillon, frère aîné du maréchal de Turenne, homme d’une moralité plus douteuse que son talent, et qu’attirait l’espoir de repêcher en eau trouble sa belle principauté de Sedan, qu’il avait dû cédée au roi Louis XIII pour sauver sa tête. Bientôt le coadjuteur, que l’imprévoyance de la cour avait poussé à mettre au service de l’émeute une ardeur qu’il aurait dépensée beaucoup plus volontiers au service du pouvoir, contribua, par son infatigable activité, à rallier à la cause dans laquelle on l’avait jeté des auxiliaires plus puissans