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conclure la paix dont il avait été si longtemps maître de fixer les conditions, ce ministre était conduit par les conséquences nécessaires de sa politique aux extrémités qui répugnaient le plus à sa nature. Chaque jour les inventions fiscales devenaient plus odieuses et les résistances plus menaçantes. Taxe sur les aisés, taxe sur les dirigistes, application d’un droit d’entrée à la presque totalité des denrées alimentaires, création de charges innombrables vendues à deniers comptans, aucun de ces moyens ne parvenait à combler l’abîme ; mais chacun d’eux fournissait aux magistrats, auxquels était demeuré le droit de parler au sein de l’universel silence, l’occasion avidement recherchée de quitter le sanctuaire de la justice pour pénétrer dans celui de la politique. La crise fut imminente lorsque le premier ministre, à bout de voies, eut supprimé pour quatre années les gages de toutes les compagnies souveraines du royaume, car, bien que le parlement de Paris fût excepté de cette suppression, le cynisme même de la dispense lui commanda cette fois de résister avec une énergie plus grande encore.

On put comprendre alors combien le triomphe du despotisme avait préparé de chances à l’anarchie, et la France vit un spectacle qui, pour être moins saisissant que celui de nos grandes journées révolutionnaires, ne révélait pas moins le désordre profond que le défaut d’institutions avait amené dans les idées. Sous la parole de magistrats transformés en tribuns, malgré la prudence de son premier président, le parlement rendit un arrêt d’union avec toutes les compagnies souveraines[1], et des députés de toutes les chambres vinrent s’unir à ceux du grand conseil, de la cour des comptes, de la cour des aides et de l’Hôtel-de-Ville pour travailler en commun à une réformation générale de l’état. L’assemblée de la chambre de Saint-Louis peut étonner à meilleur droit que celle du Jeu de Paume, car les membres de l’assemblée nationale avaient reçu du moins mandat du pays pour le constituer, tandis que les membres du parlement n’avaient été préposés par la couronne qu’au seul jugement des procès. Si la tentative de 1648 avait eu ses conséquences naturelles, elle aurait eu pour résultat définitif d’instituer entre la royauté et la nation une corporation indépendante de l’une et de l’autre, et dans laquelle serait venue se confondre, par une sorte de monstrueuse unité, la puissance politique et la puissance judiciaire.

La cour ne se trompa pas sur la portée de cette manifestation redoutable. Pendant que le chancelier Séguier épuisait contre l’arrêt d’union l’arsenal de son érudition parlementaire, Mazarin, dans des entretiens secrets dont les Mémoires de Talon nous ont conservé

  1. 13 mai 1648.