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la pensée d’opposer aux droits des états ceux de leurs propres cours de justice ; elles avaient fini par se produire nettement, et alors s’était révélé le plus étrange contraste entre l’étendue des droits réclamés par les compagnies souveraines et l’humilité des théories politiques qu’elles continuaient de professer relativement à la nature du pouvoir royal. La suprématie absolue de la couronne, considérée comme supérieure à tous les droits publics et privés, avait été constamment défendue par les magistrats durant leur lutte séculaire contre l’aristocratie féodale. C’était à titre d’auxiliaires et d’humbles serviteurs de la royauté qu’ils s’étaient élevés au degré d’influence dont ils firent usage pour lui disputer plus tard une partie de ses pouvoirs, et les parlemens continuaient à représenter le triomphe de la monarchie absolue au moment même où ils affichaient la prétention de lui opposer des digues. De là une incohérence presque constante entre les idées et les actes, et dans l’attitude de la royauté vis-à-vis des cours de justice — un mélange de concessions et de menaces, de complaisances et de dédains.

La couronne avait longtemps trouvé plus simple de ne pas tenir compte du droit de remontrance que de contester celui-ci, et les rois laissaient parler volontiers, pourvu qu’on les laissât faire. Le chancelier de l’Hôpital avait introduit, sous Charles IX, l’usage des lits de justice, qui devint l’expression la plus curieuse de cette situation singulière. Ce procédé avait résolu dans le sens de l’obéissance passive le problème posé depuis M. longtemps, car les parlemens ne conservaient désormais le droit de résister en l’absence du roi que sous la condition formelle d’obéir aussitôt que le monarque voulait bien prendre la peine de se rendre en personne dans leur sein, Richelieu avait tiré grand parti de ce moyen-là, et Mazarin, malgré le caractère modéré de son administration, fit des lits de justice un usage plus fréquent encore que son fier prédécesseur. Ainsi se trouvaient en présence des magistrats qui, pour s’emparer du pouvoir politique, faussaient le caractère de leur institution, et une royauté qui, pour triompher de toutes les résistances, n’avait qu’à paraître en habit de chasse et un fouet à la main. De vagues aspirations vers la liberté aboutissant aux plus tristes réalités du despotisme, voilà ce que présentait la France à la veille du plus magnifique épanouissement de l’esprit humain, au moment où le pays accomplissait au dehors un travail dont la grandeur n’a pas été surpassée.

Ce décousu dans les idées, cette incertitude dans les institutions ne pouvaient manquer d’engendrer les périls les plus sérieux sous le règne d’un enfant et sous l’administration d’un homme qui, après avoir eu d’abord à se défendre contre sa qualité d’étranger, avait maintenant à se faire pardonner sa grande fortune. Lorsque les plus