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son ordre, le prince élevait au niveau des plus hautes fortunes du royaume des favoris dont l’origine modeste rendait l’avidité plus insatiable. La fantaisie était sans frein comme l’arbitraire.

Toutefois ces avantages, s’ils pouvaient mériter un tel nom, étaient achetés par les courtisans à un prix fort redoutable. Il fallait conserver la confiance du maître sous peine d’avoir à tremblée pour sa propre liberté, car sous ce régime il n’existait pas plus de garantie pour les personnes que pour les choses. Les premiers seigneurs de France avaient été condamnés par commissaires, et l’on avait vu des condamnations capitales prononcées par simples lettres patentes adressées au parlement. Le comte de Moret, fils naturel de Henri IV, les ducs d’Elbeuf, de Bellegarde et de Roannez, avaient été frappés par cette justice expéditive, et comme pour confondre plus complètement toutes les notions du droit et de l’équité, dans le procès intenté au duc de La Valette, beau-frère naturel de Louis XIII, ce monarque était venu présider lui-même le tribunal réuni par ses ordres, et recueillir les voix en contraignant les magistrats d’opiner malgré les plus énergiques résistances. Aucun refuge n’existait contre ces iniquités, toujours subies par les compagnies judiciaires après des protestations qui attestaient leur impuissance autant que leur courage. Si la vie et la propriété étaient à la merci des caprices d’un ministre, sous quel régime de bon plaisir ne devait pas être placée la liberté individuelle ? La Bastille et Vincennes avaient reçu tour à tour dans leurs murs la plupart des hommes qui avaient fréquenté la cour depuis trente ans, et Bassompierre traite quelque part avec un dédain fort piquant quiconque n’a pas eu assez d’importance pour se faire emprisonner au moins une fois dans sa vie.

Les principes du gouvernement étaient encore plus incertains que les droits privés. Depuis la stérile assemblée de 1614, les états-généraux n’étaient plus qu’un souvenir, et le parlement de Paris s’attachait à l’effacer de plus en plus de la mémoire de la nation, afin de faire prévaloir sa propre importance. On sait comment ce grand corps de légistes que Philippe le Bel rendit sédentaire, auquel Philippe le Long avait octroyé la permanence, profita de la confusion établie, vers le commencement du XVe siècle, entre sa propre juridiction et celle de la cour des pairs, pour usurper les attributions politiques les moins compatibles avec des devoirs judiciaires. De l’usage d’inscrire les édits du souverain aux registres du parlement afin de les revêtir d’un caractère authentique, les magistrats, avec l’esprit de suite qui est le propre des compagnies, avaient d’abord induit le droit de discuter et de modifier ces édits, puis celui d’en suspendre ou même d’en refuser l’exécution. Ces prétentions avaient été servies le plus souvent par l’imprévoyance des princes, et quelquefois par