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femmes furent effrayées ; moi, je savais qu’elle vivait, quoiqu’elle eût les yeux fermés.

Elle les ouvrit, mais elle resta immobile ; peu à peu ses joues s’empourprèrent, le son de sa voix fut changé ainsi que son regard, et l’on passa les jours et les nuits à humecter ses lèvres.

Je restai à genoux près de son lit ; le sommeil n’approcha point de mes paupières ; mon regard ne quitta point son visage. Je ne m’étonnai point de l’apparente incohérence de ses paroles ; je compris ses pensées, que les autres ne comprenaient point ; je les suivais toujours sans qu’elles eussent un lien selon la raison convenue et habituelle. Je savais ce qui précédait et ce qui suivait. Le langage humain était inutile entre nous. Elle était encore avec moi, quoiqu’elle ne fût plus avec eux ; ils ne l’entendaient plus quand je l’entendis me dire bas, si bas que seul je pouvais la comprendre : — Adieu, Willy, attends que je t’appelle !

Je m’approchai de ses lèvres. Ah !! que ses yeux étaient grands ! et quelle beauté sur son visage glacé !

Tous pleuraient, mais je ne pleurai pas ; je vis bien qu’elle était morte en ce monde, mais je savais que j’allais partir aussi, car elle allait m’appeler.

On la couronna de fleurs, je crois m’en souvenir ; on l’entoura de flambeaux allumés ; il y eut des parfums répandus autour d’elle.

Après la seconde nuit, je commençai à m’étonner d’être abandonné si longtemps. Tant qu’elle fut là, j’attendis… On l’emporta, je la suivis ; mais, quand elle disparut, je jetai un grand cri, et je courus par instinct me précipiter dans les fossés profonds du château !

Je ne sais ce qui m’arriva, il y a de cela longtemps sans doute ; j’ai été bien des jours sans mémoire et sans savoir si je vivais. La lumière est revenue lentement dans mon esprit : je n’ai point conscience de ce qui est advenu depuis, car je n’ai point regardé les vivans ; mais aujourd’hui je me rappelle et je me demande la cause de mon exil et de notre séparation. « Attends-moi, » m’avait-elle dit, et j’ai voulu la suivre aussitôt ; j’ai manqué d’obéissance et de foi !

Elle savait mieux que moi pourquoi mon enchaînement à la terre était encore nécessaire. Sans doute elle m’enseignait ainsi le moyen de m’élever un jour vers elle.

O Dieu qui nous créas, prends pitié de ma misère, abrège ma séparation, délivre-moi de mon corps, afin que je rejoigne, pour les servir dans tous les siècles, ces deux âmes chéries et protectrices auxquelles tu m’as donné !


EMMY DAWSON.