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que si la révolution cherche à se développer dans le sens de son principe, elle heurte aussitôt un instinct universel ; si elle s’arrête, elle a l’air de se désavouer elle-même et de se rétrécir aux proportions d’un bouleversement vulgaire. De là cette politique étrange du parti révolutionnaire toutes les fois qu’il arrive au pouvoir. Conservateur par impuissance et violent sans audace, il est forcé de maintenir des principes qu’il détruit ensuite dans la pratique. C’est ce qui est arrivé dans la question des cultes. Les progressistes du congrès ont bien senti l’impossibilité de porter une atteinte ouverte à l’unité religieuse du pays ; mais en même temps ils ont introduit une petite liberté bâtarde et sans aveu, qui ne satisfait ni à la vérité de la situation de l’Espagne ni à l’honneur du principe de l’indépendance de la conscience, et qui, après beaucoup de bruit, soyez-en sûr, redeviendra tout simplement cette tolérance de fait que tous les gouvernemens ont pratiquée depuis vingt ans, sans qu’elle fût inscrite dans les constitutions. Il en a été de même pour la monarchie. Le parti révolutionnaire espagnol n’a pas pu songer un instant à abolir l’institution monarchique. Il en a consacré l’existence par le vote du 28 novembre ; mais en même temps il garrotte l’autorité royale dans des liens qu’elle sera obligée de rompre : il la réduit à l’ilotisme dans le pays le plus monarchique du monde. La royauté sanctionne les lois ordinaires, elle ne sanctionnera pas la constitution et les lois organiques. Le roi aura le droit de convoquer et de dissoudre les cortès ; mais à côté sera une députation permanente chargée de veiller à l’exécution des lois et investie en certains cas du pouvoir de réunir les chambres.

De tous les partis révolutionnaires qui se sont produits en Europe, le parti révolutionnaire espagnol est certainement celui qui a le mieux résolu le problème de s’agiter pour s’agiter, sans but, sans profit pour aucun principe, sans autre résultat que de maintenir le pays dans un état perpétuel de crise. Les progressistes de l’Espagne ont eu une occasion merveilleuse en 1854. ils recevaient une situation faite, ils se trouvaient subitement portés au gouvernement d’un pays constitué, organisé, avide de sécurité et d’améliorations positives. Deux chemins s’offraient à eux : ils pouvaient accepter ce legs qui leur survenait à l’improviste, gouverner s’ils voulaient avec un esprit plus libéral, réformer même les lois imparfaites : c’était l’œuvre d’un parti sérieux et légal. On leur aurait su gré du mal qu’ils n’auraient point fait, de leurs efforts pour épargner à la Péninsule de nouvelles épreuves. L’autre alternative était de tout détruire. C’est l’esprit de destruction qui l’a emporté, et, qu’on l’observe bien, c’est une destruction systématique, aveugle. Il s’agît d’effacer la trace de tout ce qui s’est fait dans ces dernières années, et de remonter aux