Pensez-vous qu’il y ait au-delà des Pyrénées une grande haine contre les distinctions et les titres ? Chaque révolution en distribue à son tour, et la révolution actuelle n’a point fait exception. Le vice-président de la junte formée à Madrid en juillet a été créé duc ; c’était M. Sevillano, banquier et déjà marquis. La femme du général Mina, le célèbre partisan du temps de l’indépendance, a été nommée duchesse de la Charité. On a voulu faire le dernier ministre des finances, M. Madoz, comte de Tremp, du nom de ce qu’on pourrait appeler son bourg pourri de la Catalogne, s’il ne s’agissait pas d’un libéral si consommé. Il faut ajouter que M. Madoz a refusé ce titre. Et d’un autre côté, quels sont les chefs du prétendu parti démocratique ? C’était le vieux comte de Las Navas, ce chevaleresque et platonique amant de la république, qui vient de mourir ; c’est aujourd’hui M. Creuse, marquis d’Albaida. Il y a quelques années, peu après 1848, un journal socialiste parut à Madrid ; qui faisait vivre par ses subventions ce journal d’un moment ? C’était un grand d’Espagne. La seule démocratie qui existe au-delà des Pyrénées, au sens profondément moderne et révolutionnaire du mot, c’est cette masse besoigneuse et affairée que les événemens ont fait surgir, qui est à la suite de tous les partis, et qui se jette sur les emplois à chaque révolution ; c’est la démocratie des capacités. Il y a du reste les capacités modérées, comme les capacités progressistes. Chaque parti a son personnel d’employés passant alternativement du cadre de l’activité au cadre des cesantes, suivant les variations de la fortune politique. Cette démocratie est un élément de trouble, sans nul doute : elle peut contribuer à des révolutions pour conquérir ou retrouver des emplois ; mais il ne s’agit point tel évidemment d’une lutte de classes, d’un principe de nivellement social. Contre la corruption des idées démocratiques, l’Espagne a un préservatif assuré dans ses mœurs, dans ses goûts, dans ses instincts, de même que dans sa constitution agricole elle trouve une sauvegarde contre le socialisme industriel. Comment le principe démocratique deviendrait-il un levier de bouleversement là où les hommes se sentent naturellement égaux, là où ne fermente point la haine des supériorités et des hiérarchies ? Comment le socialisme économique prendrait-il une extension sérieuse là où le travail est surabondant, là où existe la pauvreté indolente et fière, mais non le paupérisme, cette maladie affreuse des contrées où l’excès de la population se combine avec l’excès du développement industriel ?
Voilà donc encore un point où la révolution manque de raison d’être au-delà des Pyrénées. Invoquera-t-elle enfin un principe de réforme religieuse, la liberté de conscience ? Que dans les pays où, par la force des choses, par une suite de circonstances historiques,