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sanctionnerait certainement aucune violence contre sa mère. Le premier moment passé, Espartero était moins frappé de ces inconvéniens. Il hésitait, et il était fortifié dans ses hésitations par un entourage qui ne voyait après tout dans une crise nouvelle qu’un moyen de précipiter la révolution. Le duc de la Victoire eût incliné à garder Marie-Christine en lieu sûr, pour la tenir à la disposition des cortès. Le parti modéré du ministère remporta, et on résolut de faire partir la reine-mère, au risque d’avoir à livrer bataille à cette démagogie sortie des barricades, qui tenait le gouvernement en échec.

S’il n’y avait eu que cette poignée de factieux, l’issue n’était nullement douteuse ; mais le duc de la Victoire persisterait-il jusqu’au bout ? ne se laisserait-il pas encore arrêter par quelque manifestation populaire habilement préparée ? Le fait est qu’à ce même instant Espartero se laissait décerner la présidence du club de l’Union, d’où sortaient les plus odieuses déclamations contre Marie-Christine. Le 28 août arriva, jour fixé pour le départ de la reine-mère. L’ancienne régente sut dans la nuit seulement qu’elle allait partir, et le matin elle quittait le palais, en présence des ministres, avec une escorte de cavalerie commandée par le colonel Garrigo, devenu général. Ce n’était point l’affaire des passions révolutionnaires, qui se disposèrent aussitôt à tenter un effort désespéré pour ressaisir leur proie ou pour relever les barricades. Le parti démocratique commit heureusement une double faute en cet instant. Comme il se sentait impuissant, il accepta un auxiliaire qui devait froisser profondément l’instinct national. La participation de M. Soulé à la journée du 28 août ne fut point un mystère, et le motif de l’intervention du ministre des États-Unis est encore moins un secret. M. Soulé remplissait ou croyait remplir sa mission relative à Cuba en favorisant le triomphe un parti démocratique, et on dit même qu’il s’était assuré du prix de son concours. Les agitateurs révolutionnaires commirent une méprise plus décisive encore, et achevèrent eux-mêmes leur propre déroute en assaillant la maison du président du conseil aux cris de meure Espartero ! S’ils eussent crié vive Espartero ! tout pouvait changer. Les cris de mort proférés contre le duc de la Victoire le lièrent à ses collègues par la solidarité du péril, et il se montra aussitôt l’un des plus résolus contre l’émeute. Il ne le céda en rien au général O’Donnell, qui se préparait du reste à combattre avec ou sans Espartero. Dès que le gouvernement restait uni, cette agitation du 28 août n’était plus qu’une impuissante échauffourée, et les barricades, commencées sur quelques points de Madrid, devaient disparaître au premier choc. Cette victoire, car c’en était une, raffermit le ministère en rapprochant ses élémens divers, et lui donna même la force île fermer les clubs. Espartero signa la dissolution du cercle