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des humeurs, des vues et des tendances différentes. Le parti modéré du cabinet eût voulu circonscrire le mouvement. À côté était Espartero, Facilement dominé par un entourage remuant, accessible à toutes les flatteries et à toutes les séductions, caressé par les révolutionnaires les plus extrêmes, et couvrant ses indécisions ou les projets fomentés en son nom sous ce mot si heureusement inventé : « que la volonté nationale s’accomplisse ! » Il devait s’ensuivre des luttes permanentes, toujours près de dégénérer en conflits ou terminées par des concessions mutuelles. La question la plus sérieuse, à un certain point de vue, était celle de la constitution, du régime politique de l’Espagne. Elle fut résolue par une de ces transactions qui compromettent tout, en ayant l’air de sauver quelque chose. On décida la convocation de cortès constituantes, avec cette restriction que le gouvernement n’admettait, disait-il, ni doute ni discussion sur le trône et la dynastie. M. Collado a avoué depuis naïvement que la présentation de cette mesure au conseil avait été pour lui un coup de foudre, tant il croyait jusque-là que la révolution se faisait sous le drapeau de la constitution existante. Au lieu de cette constitution, c’était l’interdit lancé sur toute l’organisation publique de l’Espagne et une issue ouverte à toutes les tentatives. Cependant il restait bien d’autres questions plus vives, plus délicates, — épreuves incessantes de cette fragile union du ministère. La première de toutes était la position si étrangement aggravée de la reine Christine, enfermée au palais depuis le 17 juillet, et devenue le point de mire des haines triomphantes.

Une fatalité singulière livrait la mère d’Isabelle en otage à la révolution. Elle avait dû quitter l’Espagne au mois de mai ; une maladie avait prolongé son séjour, et c’est ainsi que les événemens la surprenaient à Madrid. En réalité, de quoi la reine Christine était-elle donc coupable ? Est-ce d’avoir perfidement poussé à la suppression violente des institutions libérales ? Il est certain au contraire que nul n’avait été plus opposé à un coup d’état au moment où ce coup d’état était peut-être moins impossible qu’on ne le penserait aujourd’hui. Ce n’était pas seulement une affaire politique pour la reine-mère, c’était une question de dignité personnelle, l’honneur de son nom historique. C’est elle qui avait rouvert par l’amnistie de 1833 les portes de l’Espagne aux libéraux émigrés ; c’est elle qui avait fait entrer l’Espagne dans la voie constitutionnelle. Voilà ce que les partis oublient et ce que la justice ne peut oublier. La reine Christine était-elle coupable de ces déprédations, de ces prélèvemens onéreux sur la fortune publique dont on l’accusait ? Une commission des cortès est occupée depuis six mois à instruire ce grand procès ; elle n’y a épargné ni le temps ni la bonne volonté de découvrir des monstruosités.