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du bien et du mal par circonstance ou par inertie plutôt que par choix. Ce qu’il avait été dans la première partie de sa carrière, allait-il l’être encore ? La décision et l’activité qu’il n’avait point eues autrefois, les retrouverait-il après dix années passées dans le repos, loin des affaires ?

Le premier mouvement d’Espartero, en rentrant dans la vie politique, était de recourir à son moyen habituel, la temporisation, — une temporisation menaçante. Qu’on remarque en effet qu’il recevait, le 21 juillet au matin, l’invitation de la reine, et qu’il laissait s’écouler huit jours avant de se rendre à cet appel. Pendant ce temps, toute sorte d’espérances et d’ambitions s’agitaient à Saragosse autour d’Espartero. La junte aragonaise avait un caractère plus révolutionnaire que celle de Madrid. Elle s’instituait junte de gouvernement et affectait une véritable suprématie sur tous les mouvemens insurrectionnels du pays. Elle nommait Espartero généralissime des armées nationales de toutes les Espagnes, avec pouvoir de distribuer des grades et des emplois. Il se préparait même un ministère aragonais. Les projets les plus indéfinis se cachaient sous un de ces mots qui sont le commode passeport de toutes les tentatives : « que la volonté nationale s’accomplisse ! » Ce mot avait en outre l’avantage d’exprimer le vague des idées du duc de la Victoire. À Madrid, on crut et on dit que ces lenteurs et ces mystères n’avaient d’autre but que d’abandonner la révolution à elle-même, afin qu’elle contraignit la reine à l’abdication ou à la fuite, et que la situation se trouvât simplifiée par la suppression de cet embarras, — c’était l’expression dont on se servait. Si Espartero ne pensait point ainsi, il laissa du moins croire le contraire, en se posant comme une énigme et en tergiversant quand chaque minute était décisive.

Une mission dont le duc de la Victoire chargeait un de ses aides de camp, le général Allende Salazar, auprès de la reine, n’était point de nature à dissiper ces obscurités. C’est le 24 juillet que le général Salazar arrivait à Madrid, et il fut reçu immédiatement au palais. Il était porteur d’une lettre d’Espartero où celui-ci disait que « les événemens survenus étaient prévus par lui depuis longtemps, que son cœur patriotique en gémissait, et que son envoyé, qui avait toute sa confiance, dirait à la reine Isabelle à quelles conditions il accepterait le pouvoir. » Quelles étaient ces conditions ? Le général Allende Salazar, qui a nié depuis avoir voulu manquer de respect à la reine, commença sur ce point un discours tout au moins des plus véhémens ; il dit qu’Espartero n’aurait confiance en son pouvoir que s’il lui était remis par des cortès constituantes. Cependant il ne formulait rien de précis. Le fait est que ni la reine ni le général San-Miguel, qui était présent, ne purent comprendre. Il fallut s’ajourner à une seconde