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peut-être, sans être faits pour le premier rôle. Esprit chimérique et cœur loyal, imbu de toutes les illusions de 1812, ancien ministre constitutionnel de 1823, autour d’une Histoire de Philippe II, San-Miguel nourrissait les opinions progressistes les plus prononcées, et en même temps il aimait la reine, il se faisait son chevalier et était prêt à la défendre. Ses cheveux blancs autant que ses antécédens libéraux servaient à sa popularité. Pendant quelques jours, il fut tout à Madrid, président de la junte, ministre universel, capitaine-général, chef du peuple et de l’armée, plénipotentiaire de la royauté et de l’insurrection. Il passait la nuit au palais, la journée à la junte et aux barricades, prodiguant sa vieillesse et ses bonnes paroles. Il était tout, disons-nous, — bien entendu à la condition de ne pouvoir empêcher dans les premiers instans les plus violens excès. C’est ainsi qu’une espèce de commission révolutionnaire présidée par le torero Pucheta faisait fusiller sans autres façons l’ancien chef de la police Chico et deux de ses domestiques. En vérité, Pucheta et le général San-Miguel étaient les deux puissances de Madrid, — l’un se faisant l’exécuteur des passions révolutionnaires, l’autre exerçant son influence modératrice, faisant reculer le drapeau rouge dès qu’il se montrait, imposant silence aux cris républicains proférés par quelques fanatiques. Tout l’effort de San-Miguel et des modérés tendait à maintenir un certain ordre dans le désordre, à défendre la reine, à réserver le plus possible les questions de gouvernement et à gagner le moment où un pouvoir renaîtrait de cette gigantesque anarchie. Il restait à savoir quel serait ce pouvoir, quel allait être le cours et quelles seraient les limites de cette dévolution. Or c’est ici que se noue le drame de la situation de la Péninsule et des événemens qui ont suivi.

La force des circonstances plaçait évidemment le nœud de cette situation entre les mains du général Espartero, qui se trouvait à la fois président de la junte de Saragosse et chef désigné du pouvoir impatiemment attendu à Madrid. Ainsi reparaissait sur la scène un personnage qui n’avait rien de nouveau pour l’Espagne, qu’un mouvement immense avait rejeté hors de la politique en 1843. Depuis sa chute, le duc de la Victoire avait passé quatre ans d’émigration à Londres, sans éclat et étranger à toute intrigue. Rentré en Espagne en 1847, nommé sénateur par un ministère qui espérait l’opposer à Narvaez, il était resté à Logroño, dans la Rioja, honoré pour son passé militaire, à demi oublié, et c’est là que les événemens venaient le chercher tout à coup. Pendant sa régence, Espartero avait été loin de paraître à la hauteur da sa position et surtout des prétentions qu’on lui supposait. Il s’était montré révolutionnaire sans décision et sans idée arrêtée, ambitieux irrésolu, chef de parti inactif, capable