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Le comte de San-Luis prit à peine le temps de prévenir le général Cordova qu’il allait être appelé par la reine pour former un nouveau cabinet.

C’était le 17 juillet, peu après midi. Quelques heures plus tard, à la sortie d’une course de taureaux, l’insurrection prenait feu dans Madrid, comme une traînée de poudre allumée par une main invisible. Et ici on peut voir une fois de plus ce que deviennent les paroles des partis quand elles sont livrées à l’interprétation des multitudes. Les hôtels des principaux membres du dernier cabinet, du comte de San-Luis, de M. Domenech, de M. Esteban Collantès, étaient d’abord incendiés et pillés. Depuis deux ans, l’agiotage, les concessions de chemins de fer, étaient les thèmes habituels de toutes les oppositions ; — on courait mettre le feu à la maison de M. Salamanca. La reine Christine était signalée comme fomentant toutes les intrigues et tous les coups d’état de son palais de la rue de Las Rejas — on se précipitait vers le palais de la reine-mère. Pendant ce temps où était le gouvernement ? où étaient les ministres ? Il n’y en avait point. Le comte de San-Luis avait disparu, le général Cordova n’avait pu encore former un cabinet. À neuf heures et demie du soir, le 17, le général Cordova était obligé de prêter serment à la hâte entre les mains de la reine pour tenir tête à une bande qui s’approchait du palais, et même il fallut attendre, parce qu’on ne trouvait pas le formulaire du serment. Nul ordre, nul préparatifs l’insurrection surprenait le gouvernement en déshérence, la monarchie seule, sans conseils, sans ministres et sans défense organisée.

L’homme le plus embarrassé de l’Espagne en ce moment était à coup sûr celui qui avait reçu la mission de ramasser ce pouvoir tombé à terre, en présence d’une insurrection dont on ne connaissait au juste ni les proportions ni le but. Le général Cordova raconte assez naïvement, il nous parait, dans un mémoire, qu’il s’était préparé à ce rôle de médiateur entre les partis. Il s’était toujours montré opposé aux projets de coups d’état. Il avait refusé d’entrer dans les derniers cabinets, nourrissant à son tour l’ambition ou l’illusion d’une combinaison politique à laquelle il présiderait, et il pouvait être fortifié dans cette pensée par les promesses de concours que lui faisait parvenir M. Olozaga. Le général Cordova n’avait oublié dans ses calculs qu’un élément considérable. — l’imprévu, qui venait le mettre en demeure de réaliser sa tentative dans le feu d’une crise révolutionnaire. À minuit, le général Cordova n’avait encore trouvé qu’un collègue. Au point du jour, le 18, l’heure de sa présidence du conseil était passée ; il ne restait plus que comme ministre de la guerre dans un cabinet dont le chef était un homme d’un génie inoffensif et aimable, le duc de Rivas, et qui réunissait deux autres