affaire d’étiquette parlementaire. Il s’agissait de savoir s’il fallait discuter une proposition partielle sur les chemins de fer, produite dans le sénat, lorsque le gouvernement avait présenté une loi générale au congrès. C’était puéril ; mais cela ne faisait que mieux ressortir le caractère de cette signification hautaine d’indignité infligée à la personne morale du ministère encore plus qu’à sa politique. Ce n’était plus une discussion, c’était un duel. « Si nous avons la victoire, disait le général Ros de Olano, c’est le ministère qui est tué ; si nous succombons, c’est le sénat qui est mort ! » Le général Ros de Olano se trompait : sénat et gouvernement, gouvernement et sénat étaient morts du même coup. Ce jour-là, le 8 décembre 1853, une révolution fut fomentée au sein du sénat espagnol. Ce fut sans doute aussi le tort du gouvernement de répondre à une impatience d’opposition par une impatience de pouvoir, à un vote hostile par une suspension indéfinie des certes. Strictement, il ne dépassait peut-être pas son droit. Politiquement et moralement, c’était un conflit à outrance accepté par tous, après une trêve inutilement offerte et injurieusement repoussée.
Au fond, l’alternative même que semblait s’être posée le comte de San-Luis, entre la politique de conciliation et la politique de compression, avec le dessein de les épuiser toutes deux, dénotait que l’une et l’autre de ces politiques étaient pour lui des expédiens, et un expédient ne tranche point de telles crises. La lutte n’était plus dans le parlement, il est vrai ; elle était partout sous la forme d’une agitation clandestine et menaçante. L’esprit de parti, exaspéré d’une déception nouvelle, tendait de plus en plus à envelopper dans une sorte de solidarité fatale le ministère et la royauté elle-même, réduite à l’isolement au milieu d’une déconsidération croissante. Dans cette opposition confuse, cela est certain, il y avait des groupes où, faute d’un changement de ministère, on ne reculait plus devant l’extrémité d’un changement dynastique. L’éviction de la maison de Bourbon prenait le déguisement de cette chimère presque grandiose de la réunion de l’Espagne et du Portugal sous le sceptre de la dynastie de Bragance, et cette pensée eut même un moment assez de consistance pour qu’on voulut savoir le degré d’appui qu’elle trouverait dans les conseils de l’Angleterre. Lord Clarendon en fut informé ; il déclina absolument ces ouvertures, mais il put mesurer le chemin qu’avaient fait les idées d’opposition au-delà des Pyrénées. Le gouvernement, de son côté, se rejetait dans l’excès des mesures dictatoriales. Une fois dans cette voie, il n’y avait plus d’issue. Les généraux Manuel et José de la Coucha, O’Donnell, Infante, Armero, Serrano, Zabala, des hommes politiques, des rédacteurs de journaux, étaient successivement internés, exilés ou déportés.