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faisait poser la principale responsabilité ; c’est contre M. Sartorius que s’était élevée pour la première fois, justement ou injustement, cette terrible question de moralité avec laquelle on battait en brèche tous les ministères. Jeté dans l’opposition sous M. Bravo Murillo, membre du comité libéral, M. Sartorius avait semblé faire en quelque sorte une guerre à part, pour son propre compte, et s’était habilement détaché de la coalition comme pour offrir au pouvoir royal, par sa neutralité, la ressource d’une combinaison nouvelle. Les oppositions avaient pressenti le sens de cette évolution et s’étaient armées déjà contre cette candidature de leurs vieux et de leurs nouveaux griefs. En un mot, on faisait un crime au comte de San-Luis de la rapidité de sa fortune, de ses connivences présumées, de ce que l’on considérait comme une défection et comme le mouvement d’une ambition ardente. Dans le cabinet même, à côté du ministre de la guerre, soldat estimé, à côté du marquis de Molins et du marquis de Gerona, le nom du ministre des travaux publics, de M. Esteban Collantès, soulevait de vives préventions. La présence d’un progressiste, M. Domenech, au ministère des finances, semblait un fait étrange, et comme la politique ne l’expliquait pas, on y voyait le résultat d’engagemens personnels du président du conseil, qui n’aurait même connu le nom de son futur collègue, suivant certaines versions, que peu d’heures avant de le présenter à la reine.

Dans ces conditions, on peut le dire, la conciliation était moins une politique qu’un système de ralliement individuel pratiqué à l’égard des hommes, et d’un succès très incertain. Le comte de San-Luis donnait les grands emplois de la guerre aux principaux chefs militaires de l’opposition, aux généraux José de la Coucha, Cordova, Ros de Olano, et, chose singulière, il n’arrivait qu’à s’aliéner les généraux qu’il éloignait sans gagner ceux dont il recherchait l’appui. Il ne lui servait de rien de rappeler définitivement le général Narvaez en Espagne, de convoquer les cortès, de soumettre aux chambres toutes les concessions de chemins de fer, de retirer les réformes constitutionnelles, de prendre, en un mot, aux oppositions tout leur programme. Dès que le parlement s’ouvrait, le comte de San-Luis trouvait réunis contre lui, dans une formidable coalition, les hommes qui l’avaient combattu autrefois et ceux dont il avait été le collègue, les libéraux et les partisans des réformes constitutionnelles, l’opposition militaire et l’opposition civile, les amis des ministères tombés et les amis des ministères en expectative. L’orage amassé dans le sénat éclatait par un vote qui ralliait 105 voix systématiquement hostiles contre 69 restées fidèles au cabinet.

Ce fut un tort du sénat indubitablement. Il jouait la paix et le sort de l’Espagne pour une question vulgaire, pour ce qu’on nommait une