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de recueillir son héritage ; C’était le commencement de cette étrange dissolution, à laquelle il ne manquait que des alimens et des incidens. Quelle est en effet la première conséquence de cette crise ? Immédiatement le chef du nouveau cabinet, M. Bravo Murillo, se trouve en présence d’une opposition moins puissante encore par le nombre à la vérité que par la valeur et le caractère de ses membres : c’étaient des ministres de la veille, les plus éminens conservateurs eux mêmes, M. Pidal, M. Mon, le comte de San-Luis. Le champ de bataille était une question matérielle, le règlement de la dette, qui résumait presque le programme du nouveau ministère. M. Bravo Murillo restait victorieux, et dans cette première période de sa carrière de président du conseil, il se montrait ce qu’il était réellement, un esprit laborieux et exact, un administrateur intelligent, préoccupé de l’ordre financier, du développement des intérêts du pays ; mais il était visible dès lors que la vie politique de l’Espagne était profondément troublée, que les partis entraient dans une crise qui les conduirait à une désorganisation complète ou à une transformation. M. Pacheco le disait dans le congrès : « Je cherche les partis, et je ne les rencontre ni ici ni hors d’ici. Les principes et les doctrines les formèrent, les intérêts les ont dissous. Je ne vois que des groupes divers sans aucun principe commun qui les dirige. Où est le parti modéré ? Est-il avec la majorité ou est-il avec l’opposition conservatrice ? Où est le parti progressiste ? Est-il aux côtés de M. Olozaga ou de M. Orense ? ou bien encore avec M. Cortina, retiré sous sa tente comme un autre Achille ?… » De cette décomposition des partis, s’accomplissant au milieu de l’indifférence du pays, naissait une de ces tentations auxquelles les gouvernemens résistent rarement, celle de se croire forts de la faiblesse de tous, et de chercher à faire sortir la prépondérance du pouvoir de la division ou de l’impuissance de tous les autres élémens politiques. L’idée de consacrer cette prépondérance par la réforme de la constitution était déjà là en germe.

Cette pensée de réforme constitutionnelle, qui a joué un si grand rôle dans les dernières crises de l’Espagne, ne procédait pas d’un seul fait au surplus : elle naissait de la décomposition des partis, de l’immense mouvement conservateur accompli au-delà des Pyrénées depuis dix ans, de l’influence du 2 décembre survenant en ce moment. En la dégageant de ce qu’elle avait d’accidentel et de secondaire, elle pouvait avoir un sens plus profond ; elle était le fruit d’une préoccupation de bien des esprits, celle de réaliser dans la politique ce que la convention de Bergara avait fait entre les armées de la reine et du prétendant, c’est-à-dire de rapprocher les fractions monarchiques divisées par la guerre civile et de rallier autour