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On a recherch2, avec une ardeur d’animosité qui ne pouvait qu’ajouter au mal, quels sont les auteurs, les causes, les prétextes de cette crise universelle ? Le vrai coupable, dont tous les autres sont les instrumens, c’est cet esprit de division qui se met dans les partis depuis longtemps en possession du pouvoir, et qui n’a fait que grandir de jour en jour en accumulant les haines et les impossibilités. L’Espagne est malheureusement le pays où la vie publique est le plus soumise à l’action dissolvante des passions et des ambitions personnelles. Chacun songe à passer général, c’est-à-dire président du conseil, et chacun est intéressé dès lors à se faire un centre distinct, une politique. De là une multitude de combinaisons en germe, ministères des économies ou ministères de conciliation, ministères militaires ou ministères civils, — si bien que dans cette succession de ministères et de nuances c’est la pensée politique elle-même qui s’en va, c’est le gouvernement qui n’existe plus. Supposez un nombre d’abus toujours suffisant pour donner une couleur légitime aux oppositions, les entraînemens du pouvoir venant provoquer les entraînemens de la résistance, des questions plus délicates encore tombant comme une arme envenimée aux mains des partis et compliquant cette confusion : vous aurez la véridique histoire de l’Espagne dans ces dernières années. La retraite du général Narvaez aux premiers jours de 1851 ne créait point cette crise, elle en était le symptôme. Chef du gouvernement depuis plus de trois ans, le général Narvaez conservait en apparence une position incontestée. Il n’est pas moins vrai qu’il voyait se nouer autour de lui la conjuration de toutes ces dissidences que la paix réveille. On lui reprochait d’abuser de la force, de corrompre le pays, de subordonner à sa prépondérance personnelle les intérêts économiques et l’ordre financier. Des élections avaient eu lieu, et on accusait le ministre de l’intérieur, le comte de San-Luis, d’avoir manœuvré de façon à exclure toutes les oppositions, les hommes les plus considérables, pour ne laisser arriver au congrès qu’une phalange obscure et docile, désignée déjà sous ce nom de polacos qui est devenu le sobriquet de toutes les majorités modérées ; c’étaient les mameloucks du ministère. Le nom même de la reine Christine commençait à être prononcé, et par le fait il y avait entre la reine-mère et le duc de Valence une rupture presque complète, qui éclatait dans des incidens futiles de bals et de réceptions.

C’est devant ces difficultés latentes que le général Narvaez quittait subitement le ministère et Madrid, impatient et froissé, persuadé que la reine Christine lui rendait le pouvoir impossible, plus convaincu encore que M. Bravo Murillo, qui venait de sortir du cabinet et qui allait le remplacer, ne s’était retiré qu’avec la préméditation