Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 10.djvu/1112

Cette page a été validée par deux contributeurs.
1106
REVUE DES DEUX MONDES.

son départ à des actes peu respectueux pour la dignité paraguayenne ; il avait fait charger ses canons sous prétexte qu’on voulait retenir M. Hopkins. Le gouvernement du général Lopez s’en était plaint vivement dans une note diplomatique envoyée à Washington. Ce n’était rien encore cependant. Il y a quelque temps, le Water-Witch, sans doute sur des instructions nouvelles de son gouvernement, remontait vers le Paraguay. Au moment où il entrait dans le fleuve, il reçut l’avis de s’éloigner de la côte paraguayenne, et comme il n’en fit rien, il eut à essuyer le feu d’une batterie de six canons. Le Water-Witch subit des avaries et fut obligé de rétrograder. C’est maintenant une question de savoir comment se videra cette querelle nouvelle entre le Paraguay et les Américains du Nord. Ch. de Mazade.




MÉLANGES.
Une cour féodale au douzième siècle[1].

Parmi les nombreux documens qu’un zèle infatigable pour notre histoire nationale a, dans ces derniers temps, mis au jour, réimprimés, discutés, éclaircis, il en est un qui mérite une attention plus spéciale, parce qu’il semble moins promettre : c’est la chronique de Lambert d’Ardres. Elle est toute locale, fait à peine allusion aux grands événemens du xiie siècle, où elle fut écrite, ne mentionne même les croisades qu’accidentellement, et malgré cela, peut-être à cause de cela, elle est du plus grand intérêt pour la connaissance des mœurs communes, de l’état social des classes inférieures, de la vie locale enfin, qui en réalité est la vie même de la nation. Tous ces petits faits particuliers, répétés sur toute la surface du pays, sont en définitive les faits véritablement généraux de l’histoire, et telle chose qui se passe dans un village, étant multipliée par vingt mille villages, donne souvent pour résultat quelqu’un des caractères les plus graves d’un siècle ou d’une institution sociale. Dans ces détails naïfs et sans prétention, qui néanmoins se rapportent aux grands faits de l’époque féodale et en sont comme les dépendances, les causes générales apparaissent sans être abstraites ; elles deviennent palpables et vivantes ; elles se laissent non plus seulement comprendre, mais voir ; cet enseignement vient ainsi préciser un enseignement nécessairement plus vague et le compléter. Ce n’est peut-être même que par les histoires locales qu’on peut parvenir à une appréciation impartiale du caractère et du mérite d’une époque, surtout au moyen âge, époque qui n’a pas de centre, où aucune ville n’impose son esprit ni ses mœurs, et où la vie nationale, coupée en quelque sorte en tronçons séparés, s’agite de toutes parts convulsive-

  1. Chronique de Guines et d’Ardres de 918 à 1203, par Lambert, curé d’Ardres, publiée par M. le marquis de Godefroy Menilglaise, 1 vol. in-8o, chez Renouard.