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Qu’est en effet le directoire ? C’est un XVIIIe siècle révolutionnaire, c’est une régence jacobine. On joue même avec tout ce qui fit trembler un jour, on s’amuse de ces souvenirs effroyables qui sont une cause de dépravation pour un peuple, et on s’habille à la victime. C’est cette mode singulière qui arrachait à un poète italien, à Parmi, une protestation éloquente dans son Ode à Silvia, où il rappelait la décadence romaine, mélange de licence et de cruauté. Il proscrivait a ce nom et ces formes, frivoles indices de forfaits énormes, » et il disait à Silvia de se souvenir d’être « humaine et publique. « Ainsi le même désordre que M. de Barante montre dans la vie politique sous le directoire se retrouve dans la vie sociale que peignent MM. de Goncourt, et par des voies diverses les auteurs arrivent au même résultat, et représentant la société française en marche vers le despotisme : tant il est vrai que, par la corruption morale comme par toutes les destructions politiques et sociales, la révolution avait travaillé pour la dictature, — pour une dictature invoquée comme la réparation de tous les maux, en même temps qu’elle en était la conséquence invincible !

C’est l’éternel exemple des peuples jetés dans les révolutions, et cet exemple, l’Espagne pourrait encore le méditer avec fruit dans la situation nouvelle où elle s’est placée. Qu’arrive-t-il en effet au-delà des Pyrénées ? Il y a un an, il s’est fait une révolution au nom de la liberté, et en ce moment plusieurs provinces de l’Espagne sont mises en état de siège. Le gouvernement a demandé aux cortès des pouvoirs extraordinaires qui l’autorisent à interner toute personne qui sera soupçonnée de conspirer contre l’ordre public, contre le trône constitutionnel d’Isabelle II et contre le gouvernement représentatif, à suspendre la publication et la circulation des journaux séditieux. Par quoi sont motivées ces mesures ? Par un de ces faits qu’on a dû prévoir le jour où on a mis en doute toutes les garanties conservatrices, toutes les conditions d’existence de l’Espagne. Sur plusieurs points, dans l’Aragon principalement, ont éclaté des soulèvemens carlistes, et un de leurs mots d’ordre est la défense de la religion. Ce qu’il y a de plus grave, c’est que ces soulèvemens ont commencé par des défections partielles dans quelques corps de l’armée. C’est à Saragosse que s’est produit le premier mouvement ; il avait évidemment des ramifications dans d’autres parties de l’Espagne. Le gouvernement s’est hâté d’expédier de tous côtés des colonnes de troupes pour cerner les insurrections ; mais il reste toujours aux insurgés la ressource de se rejeter dans les montagnes, et on dit que déjà une bande s’est portée vers le Maeztrazgo, où Cabrera régna autrefois comme un vice-roi pendant la guerre de succession. Il parait même y avoir eu déjà des engagemens meurtriers où des troupes du gouvernement ont eu à souffrir. Quelque restreints encore que paraissent ces nouveaux troubles, on ne peut méconnaître cependant qu’ils peuvent prendre promptement une importance véritable, importance qui résulte surtout de la situation de l’Espagne. Or quelle est la cause de cette situation ? Elle est tout entière dans l’assemblée de Madrid et dans le gouvernement. Depuis plus de six mois, les certes sont réunies : qu’ont-elles fait ? Elles ont passé leur temps en discussions oiseuses ; elles ont remis tout en question sous prétexte de faire une constitution nouvelle,