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Barante avait écrit déjà, il y a peu d’années, l’histoire de la convention. L’époque qu’il retrace aujourd’hui dans son Histoire du Directoire de la république française n’est pas moins instructive ni moins curieuse. Ce n’est plus la terreur du comité de salut public, c’est la corruption maniant la violence sans audace ; c’est le jacobinisme cherchant à s’organiser et n’aboutissant qu’à frayer la route à un maître sous lequel il sera le premier à plier. Il ne faut point s’y tromper en effet, le directoire est un temps de liberté relative : il y a une réaction universelle de l’opinion, de tous les instincts sociaux et de toutes les frivolités même ; mais les principes révolutionnaires ont survécu, ils sont au gouvernement, et ils apparaissent mieux encore peut-être dans leur révoltante iniquité sous cette forme nouvelle. Saint-Just voulait franchement réduire les classes privilégiées à l’ilotisme ; il était d’avis de les envoyer travailler sur les routes. Les lois maintenues, les projets nouveaux présentés sous le directoire contre les émigrés et contre les nobles n’étaient pas beaucoup plus doux. Une commission des cinq-cents proposait d’expulser les nobles à perpétuité, de vendre leurs biens et de leur en payer le prix, après la retenue d’une indemnité pour les frais de la guerre, en marchandises de fabrique française, ce qui ressemblait fort au procédé d’un usurier avec un fils de famille. Quant aux nobles d’un rang inférieur, on leur aurait plus simplement enlevé la qualité de citoyen. L’inspirateur de cet étrange projet était cependant l’un des hommes dont le nom est resté le plus accrédité : c’était Siéyès. « Et après tout cela, ajoutait-il avec humeur, je ne serais pas un Montmorency ! »

Entre les jacobins conventionnels et les jacobins directoriaux, il n’y avait point d’autre différence que celle-ci : c’est que les uns avaient été vaincus au 9 thermidor, et que les autres avaient triomphé ; c’est que les premiers avaient étouffé toute résistance et toute pitié dans le sang, tandis que les autres, après leur victoire, avaient à se débattre entre un passé qui pesait sur eux et une opinion publique déjà renaissante. De là tout un système qui n’était qu’une intermittence de concessions et de violences, sans autre objet dans la pensée de ceux qui l’employaient que de sauver leur position, leur domination et leur fortune. C’étaient de singuliers conservateurs du jacobinisme, conservateurs dignes de la chose, — corrompus comme Barras ou niaisement utopistes comme Lareveillère. Ils n’avaient pas l’audace comme leurs prédécesseurs ; ils avaient de plus toutes les petitesses, toutes les liassions faméliques du pouvoir, c’est-à-dire qu’ils étaient réduits à une défensive chaque jour plus impossible au milieu du soulèvement de l’opinion. Ils se sentaient si bien eux-mêmes mourir d’impuissance, que c’était à qui chercherait un homme parmi les généraux grandis dans les camps pour transformer une fois de plus le régime qu’ils avaient créé. Siéyès envoyait Joubert chercher de la gloire, et le jeune général ne trouvait que la mort à Novi. Bonaparte trouvait la gloire tout seul en Italie et en Égypte, et l’heure venue, au lieu de servir les desseins des autres, il ne connut que des instrumens. Ce jour-là Siéyès put dire : « Nous avons un maître ! » Sept ans plus tôt, en 1792, parmi les soldats de Condé il se trouvait un homme, Suleau, qui demandait pour la France le despotisme du génie, l’altière inflexibilité d’un Richelieu. « Je