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REVUE DES DEUX MONDES.

 
Voilà que j’ai touché l’automne des idées,
Et qu’il faut employer la pelle et les râteaux
Pour rassembler à neuf les terres inondées,
Où l’eau creuse des trous grands comme des tombeaux.

Et qui sait si les fleurs nouvelles que je rêve
Trouveront dans ce sol lavé comme une grève
Le mystique aliment qui ferait leur vigueur ?

Ô douleur ! ô douleur ! le Temps mange la vie,
Et l’obscur Ennemi qui nous ronge le cœur
Du sang que nous perdons croît et se fortifie !

XIII.

LA VIE ANTÉRIEURE.


J’ai longtemps habité sous de vastes portiques
Que les soleils marins teignaient de mille feux,
Et que leurs grands piliers droits et majestueux
Rendaient pareils le soir aux grottes basaltiques.

Les houles, en roulant les images des cieux,
Mêlaient d’une façon solennelle et mystique
Les tout-puissans accords de leur riche musique
Aux couleurs du couchant reflété par mes yeux.

C’est là que j’ai vécu dans les voluptés calmes,
Au milieu de l’azur, des flots et des splendeurs,
Et des esclaves nus tout imprégnés d’odeurs,

Qui me rafraîchissaient le front avec des palmes,
Et dont l’unique soin était d’approfondir
Le secret douloureux qui me faisait languir.


XIV.

LE SPLEEN.


J’implore ta pitié, toi, l’unique que j’aime,
Du fond du gouffre obscur où mon cœur est tombé.
C’est un univers morne à l’horizon plombé,
Où nagent dans la nuit l’horreur et le blasphème.