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LES FLEURS DU MAL.

Où dans la volupté pure le cœur se noie !
Comme vous êtes loin, paradis parfumé !

Mais le vert paradis des amours enfantines,
Les courses, les chansons, les baisers, les bouquets,
Les violons mourans derrière les collines
Avec les pots de vin, le soir, dans les bosquets,
— Mais le vert paradis des amours enfantines,

L’innocent paradis, plein de plaisirs furtifs,
Est-il déjà plus loin que l’Inde et que la Chine ?
— Peut-on le rappeler avec des cris plaintifs,
Et l’animer encor d’une voix argentine,
L’innocent paradis plein de plaisirs furtifs ?


XI.

LA CLOCHE.


Il est amer et doux, pendant les nuits d’hiver,
D’écouter près du feu qui palpite et qui fume
Les souvenirs lointains lentement s’élever
Au bruit des carillons qui chantent dans la brume.

Bienheureuse la cloche au gosier vigoureux
Qui, malgré sa vieillesse, alerte et bien portante,
Jette fidèlement son cri religieux,
Ainsi qu’un vieux soldat qui veille sous la tente !

Moi, mon âme est fêlée, et lorsqu’en ses ennuis
Elle veut de ses chants peupler l’air froid des nuits,
Il arrive souvent que sa voix affaiblie

Ressemble aux râlemens d’un blessé qu’on oublie,
Auprès d’un lac de sang, sous un grand tas de morts,
Et qui meurt, sans bouger, dans d’immenses efforts.


XII.

L’ENNEMI.


Ma jeunesse ne fut qu’un ténébreux orage,
Traversé çà et là par de brillans soleils ;
Le tonnerre et la pluie ont fait un tel ravage,
Qu’il reste en mon jardin bien peu de fruits vermeils.