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si quelques hommes privilégiés conservent après soixante ans les avantages attachés à l’âge viril, on conviendra que ce n’est pas là la règle. En général, à cette époque de la vie, plusieurs signes se manifestent qui indiquent l’origine de la décroissance. La vue s’affaiblit, la mémoire devient lente, et le cerveau en quelque sorte plus dur ; memoria incipit difficilius reddi, ut duritien cerebri non possis non agnoscere, dit Haller. La femme n’a plus le pouvoir d’être mère, l’homme perd également une partie de ses facultés caractéristiques. Alors aussi commence la diminution des forces en réserve ou des forces radicales, comme les appelle Barthez par opposition aux forces agissantes. C’est là, d’après M. Flourens lui-même, le caractère physiologique de la vieillesse[1]. Ce caractère se prononce de plus en plus à mesure que les années augmentent, mais il est déjà très sensible après soixante ans.

Nous croyons donc devoir faire subir une légère modification à la classification des âges telle que M. Flourens l’a proposée récemment. En dehors de la vie fœtale, il existe cinq âges principaux. — Le premier s’étend de la naissance à vingt ans. Il correspond à l’accroissement en hauteur et se compose de l’enfance et de l’adolescence. — Le second commence à vingt ans et finit vers quarante. Il répond au développement en grosseur et comprend la première et la seconde jeunesse. — Le troisième âge est renfermé entre la quarantième et la soixantième année. C’est l’âge viril. Il est caractérisé par ce travail d’invigoration que M. FIourens a si bien apprécié. — Avec le quatrième âge commence la décroissance, c’est-à-dire l’affaiblissement des organes et l’accomplissement moins entier des diverses fonctions physiologiques. C’est la première vieillesse, dont le signe principal consiste dans la diminution des forces en réserve. Elle s’étend d’ordinaire jusqu’à quatre-vingts ans. — A partir de cette époque, l’homme entre dans la seconde et dernière vieillesse, dans cet âge au bout duquel il peut être assuré de n’en pas recommencer d’autre. Nous ne saurions distinguer au moyen d’un signe précis cette seconde période décroissante de la première vieillesse. Burdach l’a dit avec beaucoup de raison : plus la vie avance, plus elle se diversifie chez les individus, et plus il devient difficile d’arriver par voie d’abstraction à établir le caractère essentiel et normal de ses périodes. Tous les traits qui marquent l’âge précédent sont seulement ici plus fortement accusés ; toutes les facultés sont amoindries ; la décroissance s’étend à toutes les parties de l’organisme, jusqu’à ce qu’enfin le vieillard éprouve ce complet épuisement, cette difficulté d’être dont parle Fontenelle, cette défaillance universelle, comme dit Bacon, qui précède toujours la mort naturelle.

La vie se compose ainsi de cinq périodes : deux d’accroissement, une de repos, et deux de décroissance. Ces périodes sont égales entre elles d’une manière générale, à l’exception de la dernière, dont la fin est ordinairement

  1. « Les anciens physiologistes, dit M. Flourens, distinguaient avec grande raison dans nos organes deux espèces ou plutôt deux provisions de forces, les forces en réserve et les forces en usage, ou, comme ils disaient, vires in posse et vires in actu… Dans la jeunesse, il y a beaucoup de forces en réserve… Tant que le vieillard n’emploie que ses forces agissantes, il ne s’aperçoit point qu’il ait rien perdu ; pour peu qu’il dépasse la limite de ces forces usuelles et agissantes, il se sent fatigué, épuisé ; il sent qu’il n’a plus les ressources cachées, les forces réservées et surabondantes de la jeunesse. »