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Je ne sais si la philosophie a déterminé exactement l’influence de l’éducation sur nos sens et notre jugement, quand nous les tournons vers les arts. L’amour du beau est inné dans l’homme : pourquoi donc le sentiment du beau, c’est-à-dire l’application de cet amour, est-il si incertain, si variable, si opposé à lui même ? Quelle sera la Vénus des Tartares ? Quel serait l’Apollon du Belvédère chez les Cafres ? La musique des Grecs modernes fait frémir les Européens, mais elle plonge les Grecs, le peuple qui l’écoute, dans l’extase. Un temple grec, une église byzantine, une cathédrale gothique ont paru successivement à des générations différentes l’expression la plus haute du sentiment religieux. Nous voulons des églises froides, des intérieurs nus et austères ; les Italiens trouvent la dévotion au milieu de décorations somptueuses, et leurs chapelles sont parées comme des boudoirs. Ne voyons-nous pas autour de nous des écoles rivales méconnaître de bonne foi des beautés éclatantes, parce qu’elles ne rentrent point dans leurs habitudes, c’est-à-dire dans leurs principes ? Où donc est le vrai ? où est l’absolu ?

L’imitation de l’antique a commencé avec la renaissance, mais combien l’intelligence complète de l’antiquité est venue plus tard ! Notre siècle est, sans contredit, celui qui applique à l’art grec le sens le plus juste, la critique la plus ingénieuse, l’admiration la plus raisonnable. Il doit ces jouissances et cette sagesse à l’archéologie, dont le progrès est si décidé depuis cent ans. Les monumens anciens remplissent nos musées et les maisons des particuliers ; partout on les voit moulés ; mille reproductions en rendent les images populaires ; les artistes les copient dès l’enfance dans l’atelier, les savans les trouvent entre chaque feuillet de leurs livres ; nous sommes nourris dans l’étude de l’antique, nos sens sont pénétrés par cette insensible action qui fait de l’expérience une maîtresse souveraine, à laquelle les critiques et les érudits ne se dérobent que pour tomber honteusement.

Le livre de M. de Laborde nous retrace la barbarie du moyen âge, puis l’éducation des âges suivans, qui témoignent aux chefs-d’œuvre d’Athènes plus d’égards, mais une attention mêlée encore d’aveuglement. Le récit s’arrête au moment où le Parthénon s’écroule, comme pour punir l’humanité, qui ne sait plus l’admirer. Aussi est-on porté à demander à M. de Laborde un nouvel ouvrage, ou plutôt la suite de l’ouvrage qu’il vient de terminer. Dans cette partie, non moins instructive, non moins neuve, l’auteur raconterait ce que l’on peut appeler l’histoire de l’hellénisme moderne ; il montrerait l’essor de la critique, qui s’élève graduellement jusqu’à une connaissance approfondie de l’art grec, cette source éternellement féconde où puisent ceux-là mêmes qui la veulent dédaigner. Dès le milieu du XVIIIe siècle, les monumens d’Athènes sont mesurés par des