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encore d’étonnement, mais non d’admiration. L’art byzantin devait réduire à une telle insensibilité les intelligences les plus éclairées. Cette lente éducation, qu’on appelait peut-être alors le progrès et que nous appelons la décadence, avait façonné les sens à d’autres habitudes.

Si les Grecs dégénérés ne savent plus comprendre les œuvres de leurs pères, que fait l’Italie, cette terre heureuse où le souffle du génie antique s’est ranimé ? Les grands artistes de la renaissance ont-ils les yeux tournés vers la Grèce ? Les princes et les pontifes cherchent-ils à la dépouiller de ses richesses ? Tant de palais se remplissent de statues, de bas-reliefs, d’inscriptions, à Venise, à Florence, à Rome, à Padoue ; le champ des fouilles s’étend jusqu’en Espagne et en Égypte : pourquoi la Grèce est-elle complètement oubliée ? Raphaël dispose son École d’Athènes sur les degrés d’un monument magnifique ; s’inquiète-t-il de reproduire un monument de style grec ? Les statues, les tombeaux, les vases, les stucs qui inspirent les sculpteurs et les peintres, on ne se demande point, en les copiant, s’ils sont grecs ou romains, d’une belle époque ou d’une école déchue. L’antiquité n’est plus qu’un vaste ensemble où tout se présente sur un seul plan. Est-ce antique ? cela suffit ; il y a du beau, il y a du laid, chacun choisit au gré de son génie. Mais qui se doute des principes et des époques ? Qui songe surtout à chercher les traces de l’art grec, bien qu’on prononce avec un respect passionné les grands noms de l’histoire et des lettres grecques ? Phidias et Praxitèle sont inscrits fraternellement sur les groupes du Monte-Cavallo : voilà sans doute le chef-d’œuvre de la critique du temps. Bien plus, San-Gallo, un architecte qui formait un recueil d’études sérieuses sur les monumens de l’Italie, rencontra un Grec qui arrivait d’Athènes. Ce Grec lui permit de copier divers dessins, entre autres un dessin du Parthénon. San-Gallo trouva que le temple n’avait point la grandeur et la richesse que souhaitait l’architecture moderne. Il l’accommoda à sa façon, convertit en colonnes corinthiennes les colonnes doriques, substitua des pilastres aux colonnes d’angle, éleva un nouvel édifice au-dessus du fronton, enfin il reproduisit le Panthéon de Rome ; sans les sculptures du fronton et de la frise, on ne reconnaîtrait jamais le Parthénon. Faut-il s’étonner, après cela, si plus loin dans l’Occident les artistes, dans des œuvres de pure fantaisie, assimilent Athènes à leurs cités barbares ? Louis de Bruges, homme instruit, amateur distingué, laisse son peintre représenter Athènes avec les églises, les tourelles, les fortifications gothiques d’une ville de Flandre ; Michaël Wohlgemül lui donne l’aspect lourd et tranquille d’une ville allemande.

Pendant tout le XVIe siècle, Athènes reste l’objet d’une indifférence singulière, au point que les voyageurs les plus distingués,