Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 10.djvu/1058

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

légers ou aveugles qui nous ont déshérités des renseignemens les plus précieux. Morosini, quand il bombardait le Parthénon, ne faisait que son métier. Le savant qui jugeait ou admirait mal faisait-il le sien ? Le premier détruisait par nécessité ; le second condamnait au néant les œuvres qui allaient périr sans être décrites. Quel est le barbare ?

Il faut, j’en conviens, tenir compte des temps ; le goût, la critique étaient encore dans leur enfance. Ce contraste entre les fécondes recherches du dernier siècle et les stériles travaux des siècles précédens nous amène à des considérations d’un ordre plus élevé, qui me paraissent la leçon secrète du livre de M. de Laborde. Je ne sais pourquoi j’ai peur de prononcer les grands mots de la philosophie : quelques faits m’aideront à rendre ma pensée d’une manière plus simple et plus sensible.

Nous sommes en 1460 : Athènes est l’apanage du chef des eunuques noirs ; administrée avec douceur, défendue par un puissant protecteur contre les ministres mêmes de la Porte, elle connaît encore la richesse et une fausse liberté. À cette époque, un Grec lettré, dont le nom est demeuré inconnu, écrivait une description d’Athènes, dont quelques fragmens ont été retrouvés dans la bibliothèque de Vienne. Mais quelle description ! quelle confusion de tous les souvenirs ! ou plutôt, quelle ignorance du passé ! quel oubli des gloires nationales ! l’école de Platon s’appelle le paradis ; la Clepsydre, c’est-à-dire une horloge à eau, s’intitule l’école de Socrate ; le temple de Jupiter olympien n’est plus qu’un palais royal ; c’est Cécrops qui a doré au dehors et au dedans les temples d’Athènes ; le Parthénon a perdu son nom, il est consacré à la mère de Dieu, et si un effort d’érudition remonte quelques siècles en arrière, c’est pour découvrir qu’il était dédié d’abord au Dieu inconnu, et qu’il avait été bâti - par qui ? par Ictinus ? par Phidias ? par Périclès ? — Non ! par Eulogius et Apollos.

Telles étaient les ténèbres répandues sur les esprits au XVe siècle. L’anonyme paraît être un voyageur étranger à l’Attique, M. de Laborde a raison de le supposer ; il n’est par conséquent que l’écho des savans du pays. Ces mêmes savans, je voudrais le croire, goûtaient encore l’admirable langue de leurs aïeux ; ils l’eussent enseignée, si l’exil les y eût condamnés, à Florence ou à Rome. Ils avaient encore quelque sentiment des beautés littéraires, parce qu’elles se présentent à l’esprit sous une forme qui lui est familière ; mais les beautés qui se cachent sous la matière et animent la pierre ou le marbre, les lignes, les proportions, l’harmonie de l’architecture, les contours, l’expression, les conceptions idéales de la sculpture, tout cela était une lettre morte pour eux : leurs regards étaient capables