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le public plus vivement que la vérité, qui parlaient plus haut que la vérité elle-même. La mort de Botzaris, la chute de Missolonghi, le massacre de Ohio, les brûlots de Canaris, remplissaient les imaginations : on ne voulait point en savoir davantage. D’ailleurs, entre la Grèce qui luttait et l’Europe qui la contemplait, l’antiquité interposait son mirage. Les Grecs ne nous ont point trompés ; ils sont ce qu’ils étaient avant d’être libres, ils sont déjà meilleurs : ils n’ont trompé que nos espérances, dont ils n’étaient pas complices, et dont nous leur faisons expier la vanité.

Il est, je le sais, des esprits plus fiers qui sentent que renier ce qu’ils ont aimé, c’est se renier eux-mêmes. Ceux-là ont toujours pour la Grèce des paroles bienveillantes : chez eux, la sympathie a survécu aux illusions ; mais ils doutent, ils désespèrent de l’avenir d’un état qui, après vingt-cinq ans d’existence, est encore si loin des états civilisés. Vingt-cinq ans ! le temps nécessaire pour l’éducation d’un homme, c’est donc là le délai que vous accordez pour l’éducation d’un peuple ! Après combien de siècles un pays tel que la France a-t-il dû sa renaissance à François Ier, son unité à Richelieu, ses finances à Colbert ? Hier encore la Grèce était esclave, plongée dans l’ignorance et la barbarie ; elle était pauvre, et les neuf années de guerre qui l’ont arrachée à ses maîtres l’ont rendue misérable. Les bras manquent il la terre, les embouchures des rivières sont comblées, la fièvre moissonne les générations dans leur fleur ; cet humble et périlleux commerce qu’on appelle le cabotage fait vivre à peine trente-deux mille familles de marins, tandis que toute la richesse afflue vers de grandes maisons établies à Trieste ou à Alexandrie, à Marseille ou à Constantinople. Point de ressources, des dettes, un territoire exigu qui ne réunit que les îles les plus petites et les contrées les moins fertiles de l’ancienne Grèce, une population qui ne suffit même pas à ce territoire, voilà des litres incontestables à la patience et aux encouragemens des peuples qui comptent quinze siècles de progrès.

Cependant le monde, le monde qui cause, qui lit, qui voyage, et qui, dans ses occupations mêmes, ne cherche que le plaisir, le monde approfondit peu l’histoire ou la politique ; il s’arrête à la surface des choses, plus sensible au mal, dont il rit, qu’au bien, dont l’éloge est monotone. — Les Grecs ! oh ! ne nous parlez pas des Grecs ; nous les connaissons sans avoir quitté Partis. D’abord, ils volent au jeu. Qui n’a découvert dans son salon quelque chevalier d’industrie ? Qui n’a fait asseoir à sa table un prince de contrebande, un colporteur de faux manuscrits, un héritier de biens chimériques ? Ils nous étaient recommandés par quelqu’un qui les connaissait très-peu ; mais nous les accueillions à bras ouverts, et les présentions partout comme nos