forfaire aux lois de l’étiquette, je pouvais aller rendre visite à mistress Brown. Vers onze heures, je quittai l’hôtel, bichonné, adonisé, fleurant comme baume, et, il faut bien l’avouer, l’homme le plus stupidement fat des quatre parties du monde.
L’augure le plus méticuleux n’eût point manqué au reste d’affirmer que le dieu des galans veillait sur mon entreprise. A quelque distance de son cottage, je rencontrai sur la route Brown, qui me salua de ces mots : — Quelques affaires m’appellent à l’office, mais vous trouverez ma femme au jardin. Vous vous rappelez que vous dînez avec nous ce soir ?
La confiance de cet honnête prédestiné me sembla dépasser de si loin les limites de la débonnaireté conjugale, que j’eus peine à dissimuler sous ma moustache un sourire de satisfaction diabolique; mais c’était là peine inutile, car Brown était déjà loin, et je repris ma route en murmurant : Le sort en est jeté ! avec autant d’aplomb que put jamais le dire César.
Mistress Brown était en effet au jardin. Un beau petit garçon d’environ quatre ans, aux cheveux bouclés, à la tête d’ange, égayait sa promenade de ses jeux enfantins. Avec une grande bienveillance, la jeune femme se porta à ma rencontre, me tendit cordialement la main. — Vous avez sans doute profité de cette belle matinée pour faire un tour dans nos montagnes ? me dit-elle.
J’avais prévu cette fausse manœuvre de l’ennemi; en général expérimenté, j’en profitai pour engager le combat sans préambule.
— Un fort long, repris-je; je suis retourné au pic de Dodopett, où j’ai eu l’insigne bonheur de retrouver un petit objet que j’avais perdu hier.
— Un bijou précieux sans doute? me demanda mistress Brown avec une candeur digne de l’agneau de la fable interpellant le loup.
— Précieux par les souvenirs qui s’y rattachent, repris-je d’une voix passionnée, en attachant sur la jeune femme mon regard le plus fascinateur, et je lui tendis le petit papillon d’or, aux ailes semées de rubis, que j’avais détaché avec préméditation de l’anneau de ma chaîne de montre.
Mistress Brown considéra d’abord le bijou avec une nonchalante attention, puis une émotion profonde se peignit sur son visage; elle leva sur moi un regard furtif, qu’elle rabaissa soudain, comme si quelque objet hideux se fût offert à sa vue, et demeura immobile, les yeux rivés au sol, dans un état de stupeur difficile à décrire. Cette surprise mêlée de terreur, dont je lisais sur son visage les éclatans symptômes, n’avait rien de très flatteur pour moi, et, malgré mes résolutions antérieures, j’hésitais à lancer l’exorde de mon victorieux discours de reconnaissance, lorsque mistress Brown,