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de buffles à demi sauvages, en tête duquel se trouvait un animal de moyenne taille, la corne courte, le poil lisse, l’œil rond et féroce, dont l’aspect menaçant expliquait et justifiait en un mot le temps d’arrêt de l’écuyère et de sa monture. Je savais par expérience que ces animaux ne résistent pas à une bonne contenance et à quelques coups de cravache; ce fut donc avec un dévouement plus apparent que réel que, mettant mon poney au galop, je chargeai les bêtes cornues, qui prirent la fuite incontinent. Ln berger, descendu en toute hâte de la montagne, compléta ma victoire à grands coups de bambou, tandis que moi-même je venais rassurer la timide voyageuse; mais le danger qu’elle croyait avoir couru avait frappé son imagination, et je n’arrivai près d’elle que pour la recevoir dans mes bras et la déposer évanouie sur le gazon.

Dans dénûment d’eau de Cologne et de vinaigre, j’eus recours à l’eau du ruisseau, et, agenouillé près de la jeune femme, je lui humectais les tempes de mon mouchoir humide, lorsqu’une figure anxieuse parut au-dessus de mon épaule, et le capitaine Brown s’écria d’une voix profondément émue : « Eh bien ! qu’y a-t-il? »

En cet instant, le sang reparut sur les joues de notre intéressante compagne; ses yeux se rouvrirent, s’attachèrent sur mon voisin avec une langueur pleine de tendresse, et ses lèvres murmurèrent les mots : Hhinree dère!

Balthazar lui-même, lorsqu’il aperçut sur la muraille, au milieu des splendeurs de son festin, les trois mots cabalistiques, n’éprouva pas certainement un vertige comparable à celui qui traversa en cet instant mon cerveau. Étais-je le jouet d’un songe, d’une illusion d’acoustique? Cette voix, ces deux mots, je les avais bien certainement déjà entendus. Et non-seulement cela! Au témoignage de mon oreille vint se joindre le témoignage de mes yeux : l’ovale régulier de ce charmant visage, ces belles grappes de cheveux bruns, ces yeux d’une couleur de bluet, tout cet ensemble gracieux en un mot n’était pas nouveau pour moi; c’étaient là des traits amis que je connaissais de longue date.

Le capitaine Brown acheva promptement la cure que j’avais commencée. La jeune amazone, debout sur ses jambes, renouait les cordons de son chapeau, quand mon ami me tira de mes rêveries en amie, dit-il, j’arrive trop tard pour vous présenter mon ami….., qui s’est présenté lui-même en vrai chevalier français.

Mistress Brown répondit par quelques mots de remerciement, s’excusa en riant de son indigne faiblesse, et quelques instans après nous reprenions notre ascension vers le lieu du rendez-vous; mais je ne profitai pas de la rencontre victorieuse qu’un bienveillant et