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voisine, où un véritable repas de chasseur, — un rôti de caille, du jambon et deux bouteilles d’excellent vin, — nous attendaient. Mon hôte et moi, nous fîmes promptement plus intime connaissance ; je lui remis la lettre d’introduction qui m’avait été donnée pour lui à Madras, et il se félicita de l’avoir prévenue. Le capitaine Brown avait passé deux années de sa jeunesse en France, dont il conservait un précieux souvenir. De plus, les grandes gloires de l’épopée militaire de l’empire parlaient à son esprit enthousiaste de la noble profession des armes. Lui-même avait vu de glorieuses guerres et fait, en qualité d’aide de camp du général…, les campagnes du Sutledje. Une position civile grassement payée avait été, comme cela se pratique dans l’Inde, la récompense de ses services militaires ; mais les travaux du cabinet ne satisfaisaient point ses instincts guerriers, et c’était avec un poétique regret que, jetant ses regards sur le passé, il me parlait des angoisses de la nuit de Ferozeshur ou de l’attaque de la redoute de Sobraon. J’abusai sans vergogne de sa conversation pleine d’intérêt, et la nuit était déjà avancée, lorsque nous primes congé l’un de l’autre, après une promesse mutuelle de nous revoir au premier jour. Le lendemain, mon poney retardataire arrivait à la porte du bungalow, et pendant que mon ami improvisé descendait dans la jongle, pour continuer ses chasses, je reprenais dans la montagne la route de la station d’Ottacommund. Au bout de deux heures de marche, je descendais à la porte de l’excellent hôtel tenu par M. Dawson, et fus bientôt installé dans la charmante petite chambre d’où je t’écris en ce moment. Autour de moi, rien qui rappelle l’Inde et ses accablantes chaleurs. Sur le lit, deux couvertures, joies et délices ! deux couvertures et une petite cheminée annoncent un climat sain et fortifiant où les salutaires atteintes du froid retrempent les constitutions européennes minées par les chaleurs débilitantes des plaines ; des rideaux de damas de laine, une table d’acajou, deux bons fauteuils, et sur la muraille, les éternels portraits d’Eclipse et de Plenipo composent le mobilier de ma chambre, dont les fenêtres ouvrent sur un délicieux petit jardin planté de rosés, de géraniums, de dalhias, vieux amis d’Europe, dont l’aspect est bien doux à l’œil de l’exilé. Deux lignes à part pour deux héliotropes monstres, les modèles du genre, qui mesurent tous deux dix pieds de hauteur, l’un sur quarante-quatre, l’autre sur trente-huit pieds de circonférence, et qui, chargés de fleurs, exhalent autour d’eux une odeur délicieuse.

Tu crois sans doute qu’après tout ce verbiage j’en ai fini avec mon exposition, et que je vais enfin arriver à l’aventure romanesque dont je t’ai promis le récit au début de cette lettre. Grande est ton erreur, et cependant je vais faire de mon mieux pour ne pas abuser par