Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 10.djvu/1024

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

poursuis, j’ai échangé les rigueurs du soleil de Calcutta pour le climat salutaire des montagnes qui s’élèvent à l’intérieur de la présidence de Madras. Les communications sont si faciles et si promptes, grâce aux magnifiques steamers de la compagnie péninsulaire, que cinq jours après avoir quitté la cité des palais je recevais, sur la barre de Madras, la plus belle douche qui puisse échoir à un cerveau non fêlé, et débarquais, ruisselant comme un fleuve mythologique, au pied du fort Saint-George. Pour qui sort de l’activité commerciale de Calcutta, Madras a un aspect calme et tranquille qui impose et étonne. Ce ne sont que carrés de gazon déserts, longues et larges rues tracées au milieu de jardins, car les distances à Madras dépassent toute idée. Madras s’enorgueillit de deux choses : sa brise de mer, qui vers le soir vient rafraîchir l’air embrasé par le soleil du jour, et son club. J’entrerai dans quelques détails sur ce magnifique établissement, dans lequel, par la bienveillante attention d’un ami, je fus admis comme membre honoraire. Une des supériorités les moins incontestables de la race anglo-saxonne sur les autres nations européennes est assurément la parfaite intelligence avec laquelle elle comprend et pratique la vie en commun entre hommes. L’établissement du club de Madras illustre d’une manière frappante cette vérité. Situé à trois mille environ du débarcadère, au centre du quartier élégant, c’est une sorte de phalanstère non prévu par Fourier et ses disciples, dans lequel on rencontre tous les luxes et les distractions qui peuvent servir à rendre supportable la vie de l’Inde : chambres à coucher bien aérées avec cabinet de bain, salles de billard et de lecture, cour de raquettes, glaces et sorbets à toute heure, une cuisine honorable, et une cave presque distinguée. A sept heures du soir, l’aspect de la salle à manger du club présente un singulier mélange des luxes de l’Europe et de l’Asie. Une douzaine de tables, soumise à l’action d’énormes punkhas, sont dressées avec une exquise recherche. Une armée de serviteurs vêtus de longues robes blanches, à turbans larges et retroussés d’un côté, en uniforme complet des soldats assyriens de l’opéra de Semiramide, dispensent, sans chanter toutefois le moindre chœur italien, le roastbeef de la vieille Angleterre, les curries épicés de l’Inde, ou le champagne frappé cosmopolite. Je n’élevais qu’une seule objection contre toutes ces bonnes choses: le soleil torréfiant de Madras ! Je n’avais pas fait cinq cents lieues pour griller en dépit de la brise de mer, dont je ne parle pas et pour cause, pour griller, dis-je, ni plus ni moins que je ne le faisais dans la cité des palais. Aussi mon séjour au Madras Club ne fut-il que de courte durée; le cinquième jour de mon arrivée, vers quatre heures, après avoir liquidé mes dépenses dans la chambre du secrétaire, dépenses fort modérées, j’allais gagner l’équipage qui m’attendait dans la cour, quand