de vrai ici-bas et de réel. À côté de cette physionomie maladive, empruntée aux régions des fantômes, figurent des tableaux de genre touchés à la manière des Flamands, toute une galerie de baroques peintures qu’un amateur de rococo paierait à prix d’or. Qu’on en juge par ce curieux portrait de vieux gentilhomme.
« Devant cet hôtel, résidence abandonnée du chef de la famille, lequel vivait avec sa mère en pays étranger, tous les jours, au coup de onze heures, passait, en prenant du tabac d’un air rempli de dignité, un cousin du propriétaire actuel, cousin plus élevé en âge de quelque trente années au-dessus de celui-là, mais, hélas ! fort au-dessous aussi quant à la fortune. Personne, tant auprès des jeunes que des vieux, n’était plus connu de toute la ville que le ponctuel gentilhomme au nez incarnadin, et qui, pareil au Jacquemart de l’horloge, enseignait, avant qu’elle n’eût sonné, l’heure aux gens par le seul fait de sa sortie, de telle façon qu’en le voyant, les enfans reprenaient le chemin de l’école, et leurs pères réglaient leur pendule. Ce personnage avait différens noms, selon les diverses classes qui le désignaient. Ainsi, chez les gens de la haute, il s’appelait le cousin, à cause de sa parenté avec les premières familles du pays et du crédit que ce titre lui valait ; parmi la bourgeoisie, on le nommait le lieutenant, du grade qu’il avait occupé durant ses jeunes années, et dont il portait encore l’uniforme. Sans aucun doute, la coupe des babils avait quelque peu varié depuis tantôt six lustres ; mais, pour lui, il ne semblait pas s’en être aperçu le moins du monde. Ses vêtemens, par le simple tissu qu’ils montraient aux coutures, témoignaient clairement qu’on travaillait jadis le drap beaucoup plus solidement que par le temps qui court : son collet rouge avait pris par l’usure des teintes vernissées, et ses boutons affectaient la couleur cuivrée de son nez. Telle était à peu de chose près la nuance de son chapeau à trois cornes et à plume blanche ; mais le plus beau de l’équipage était sans contredit le baudrier, auquel l’épée ne tenait plus que par un fil, semblable au fameux glaive suspendu sur la tête du tyran. Cette épée du reste avait fait le malheur du pauvre diable, en tranchant, à la suite de contestations amoureuses, le nœud de l’existence d’un rival à qui la cour voulait du bien, et cette affaire d’honneur, dans laquelle on ne pouvait certes lui rien reprocher, avait inexorablement coupé court à sa carrière militaire. Quelles ressources il s’était créées pour vivre depuis ce temps, on éprouve une sorte de pitié à le dire. Avec une héroïque persévérance et à force d’entretenir avec le monde entier d’infatigables correspondances, il était parvenu à se procurer une collection d’armoiries des plus complètes dont il exécutait en détail de nombreuses copies qu’il enluminait fort proprement et vendait ensuite à très bon prix par l’entremise d’un libraire, fournissant ainsi à l’éducation des hommes sérieux et aux récréations de la jeunesse. Il élevait en outre des pintades et autres volatiles et dressait des ramiers maraudeurs qui avaient pour industrie de lui ramener de leurs excursions tous les pigeons rencontrés dans le voisinage, gibiers errans dont il faisait benoîtement son profit. Dame Ursule, sa ménagère, l’aidait de son mieux dans ce petit négoce, dont, entre parenthèse, on eût été fort mal venu de lui parler. Avec ces minimes bénéfices et