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— Je vous le jure.

— Oh ! bien alors je suis plus tranquille.

— Mais je n’entends pas me sacrifier pour un caprice de jeune homme. J’interrogerai Pippino, et malheur à lui s’il ne vous aime pas !

Avant d’entrer dans l’église, je fis signe à Pippino de me suivre, et je l’emmenai sur le parvis. Mon agitation et le son altéré de ma voix l’intimidèrent. Il ne put supporter mon regard. Cependant, aussitôt que je lui eus appris en quels termes j’étais avec Aurélia, il poussa un grand cri :

— Ah ! malheureux, qu’ai-je fait ? dit-il. Et toi, Cornelio, pourquoi n’avoir pas confié ce secret à ton ami ? Qu’allons-nous devenir à présent ?

Après un moment de silence, il ajouta : — C’est à moi de souffrir. Je quitterai la Sicile ; j’irai vivre à Naples, ou plutôt j’irai y mourir, car il n’est que trop vrai, mon ami, si je perds Aurélia, il faudra que j’en meure.

Cette résignation, à laquelle je ne m’attendais point, me désarma :

— N’en doute pas, dis-je à Pippino, je te laisserais partir, je te laisserais mourir, si j’étais l’amant préféré ; mais le triste privilège du dévouement m’appartient.

Mon ami me sauta au cou, me pressa contre sa poitrine, me prodigua les noms les plus tendres, et après m’avoir fait répéter que je renonçais à mes prétentions sur le cœur d’Aurélia, il courut après sa maîtresse. Sans regarder où j’allais, je pris le chemin de Palerme. Il me semblait que j’aurais assez de courage pour accomplir mon sacrifice, et je me crus sincèrement un héros ; mais bientôt, la jalousie me montant à la gorge, tous les beaux sentimens s’envolèrent ; mon ami redevint un rival, Aurélia une perfide, et leur bonheur un outrage insupportable. Des tableaux funestes se succédaient dans mon imagination : je surprenais les deux amans appuyés l’un sur l’autre, causant à voix basse, et je m’apprêtais à les poignarder ; puis la beauté de la jeune fille me touchait, et c’était contre moi-même que je tournais le fer. Pendant toute la nuit, je marchai dans ma chambre, en proie au délire et à la rage. La fatigue et le jour me calmèrent un peu ; j’allais me jeter sur mon lit pour essayer de dormir, lorsque Pippino entra. Il me tendit les mains en m’appelant généreux ami ; mais je l’interrompis brusquement.

— Garde tes éloges, lui dis-je ; ils sont mal placés. Décidément je ne puis renoncer à Aurélia. Il faut qu’un de nous deux extermine l’autre. Cherchons un moyen de nous battre avec des chances égales, car je ne prétends pas abuser de mes avantages.

Pippino avait pris quelques leçons d’escrime. Je lui donnai un fleuret en lui commandant de se mettre en garde ; mais il n’était pas