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m’autoriser à demander sa main à ses parens, elle me répondait avec effroi : — Pas encore !

Un soir, au milieu d’un cercle de jeunes élégans qui papillonnaient autour d’elle, Aurélia prenait un plaisir extrême à écouter la description des bals du lundi à l’Académie de Naples. Le dandy qui absorbait l’attention de ma maîtresse avait remarqué à l’un de ces bals une parure de femme composée de ces plumes bleues que le geai porte à la racine de l’aile. Je compris que la fantaisie d’avoir une parure semblable se logeait dans l’esprit d’Aurélia. Sous peine de perdre le fruit de mes services passés, il fallait contenter cet enfant capricieux. Je parcourus les montagnes et même la partie de l’Etna qu’on appelle Nemorosa, et je revins au bout d’un mois avec une provision de plumes de geai. Je m’attendais cette fois à être accueilli comme si j’eusse ravi aux infidèles un des exemplaires de la sainte tunique ; mais, hélas ! « qui conduit des ânes ou qui se fie aux femmes ne va point en paradis[1]. » J’obtins à peine un remercîment, et mon présent fut jeté dans un coin, où il est encore.

Tandis que je battais les bois pour détruire de pauvres oiseaux, quelques nouveaux personnages s’étaient introduits dans la maison de don Massimo. J’y retrouvai, entre autres, mon compagnon d’études Pippino Castri. Quoique son visage de Narcisse attirât l’attention de toutes les femmes, l’idée ne me vint pas d’abord que mon ami le plus cher pût devenir un rival, et pour éviter ce danger, je me promis de faire à Pippino la confidence de mes amours. Tout le monde à Palerme s’occupait alors d’une fête qui devait avoir lieu à Piana dei Greci. Il s’agissait d’une cérémonie religieuse dans le rite grec, suivie de divertissemens et de danses. La population de Piana, qui se compose d’Albanais, devait se parer de ses costumes nationaux. Don Massimo se fit longtemps prier pour mener sa fille à la fête, et ne se décida que la veille au soir. Toutes les personnes présentes voulurent être de la partie ; nous étions trop nombreux pour aller dans une seule voiture, et lorsque je proposai de louer une calèche de place, don Massimo s’y opposa en disant qu’on attèlerait la bastarda. Dans les maisons riches de Palerme, on a deux carrosses, l’un d’apparat pour la promenade et les visites, l’autre vieux et fané, dont on ne se sert que la nuit, attelé de mauvais chevaux que l’on ne craint pas de faire attendre aux portes des palais ou des théâtres. La plupart de ces bastarde sont d’anciennes berlines de formes un peu gothiques. Celle du seigneur Massimo, avec ses velours râpés, sa large caisse et ses dorures noircies, avait bercé jadis quelque

  1. Proverbe sicilien. Les âniers, blasphémant sans cesse, sont considérés comme en état permanent de péché mortel.