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depuis la mort du comte de Stolberg, le poste de grand-chambellan. Le plan de campagne de ce parti violent était de blesser la France, de la provoquer à quelque démonstration militaire sur le Rhin, puis d’alléguer un prétendu danger, et de réclamer le concours de l’Autriche au nom du traité du 20 avril, qu’on eût ainsi détourné de son but primitif. Ils espéraient aussi obtenir de la Russie l’évacuation des principautés, faire évanouir de la sorte le cas de guerre, et alors pouvoir entraîner toute l’Allemagne contre nous. Voilà les idées que ne se donnaient pas la peine de dissimuler les hommes qui marchaient de concert avec le prince Charles de Prusse, qui se vantaient de leur crédit sur la reine, et qui cernaient pour ainsi dire le roi. Un tel zèle méritait assurément d’être payé de retour à Pétersbourg. L’empereur Nicolas était bien revenu de ce mouvement d’humeur qui l’avait porté à prohiber à sa cour les décorations prussiennes. Le ministre de Prusse à Pétersbourg, M. de Rochow, venait de mourir. On célébra ses obsèques avec une pompe inusitée. L’empereur et les grands-ducs y assistèrent en uniformes prussiens, et l’impératrice elle-nême y parut suivie du régiment qui porte son nom.

L’ascendant de ce parti finit par évincer des affaires tous les amis de l’Occident à Berlin. Le premier sacrifié fut M. de Bunsen. Depuis cette grande colère du roi contre lui, dont nous avons parlé, la situation de M. de Bunsen fut nécessairement précaire. On ne lui reprochait pas seulement de pousser le dévouement à l’Angleterre au-delà de la limite que lui traçaient ses devoirs; M. de Bunsen avait, dit-on, envoyé au mois de mars un projet de remaniement de territoires en Allemagne. Ce travail, ébruité par les indiscrétions ordinaires de l’entourage, alarma les petites cours qui craignaient naturellement de faire les frais du nouveau plan. M. de Bunsen leur devint odieux; il y était traité de Radowitz protestant. On ne fut pas fâché d’avoir l’air de sacrifier M. de Bunsen aux préjugés des petites cours. Le gouvernement demanda d’abord à M. de Bunsen de prendre un congé de six semaines pour faire sentir à Londres qu’on était mécontent des tirades de la presse et du parlement contre la cour de Potsdam. M. de Bunsen, ennuyé de ces misères, répondit qu’il resterait à Londres, à moins qu’on ne lui donnât un congé sérieux de six mois; mais bientôt, sur de nouvelles tracasseries, il envoya sa démission. La disgrâce de M. de Bunsen fut vivement ressentie à Londres, où ce ministre jouissait, comme diplomate et comme écrivain, d’une considération universelle. Le gouvernement britannique ne laissa pas ignorer à Berlin qu’il voyait avec regret et déplaisir le rappel de M. de Bunsen. Le roi de Prusse, assure-t-on, crut devoir s’excuser de cette mesure auprès de la reine Victoria. « J’aime beaucoup Bunsen, disait-il; je