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Elle devait rester un secret entre le gouvernement prussien et les puissances maritimes, car si on la faisait connaître à la Russie comme un système arrêté, on créait à celle-ci, par la sécurité qu’on lui donnait, un avantage matériel que la France et l’Angleterre avaient le droit de regarder comme entaché d’hostilité à leur égard; en un mot, on lui livrait par le fait ce que M. de Budberg et le comte Orlof avaient au mois de janvier vainement demandé à Berlin et à Vienne. Le langage des partisans de la Russie ne laissait du reste subsister sur ce point , aucune ambiguïté. Il n’y avait qu’à lire la Gazette de la Croix, Hors de la neutralité, disait-elle, en se pliant habilement à l’inclination présumée du roi, il n’y a que la guerre contre la Russie, — ce qui serait une politique anti-prussienne et imprudente, — ou la guerre contre la France, ce qui serait une politique prussienne, mais téméraire. « Nous comprenons parfaitement, ajoutait l’aimable gazette, que la perspective de visiter Paris les armes à la main échauffe plus d’un cœur, et que les têtes politiques, malgré 1815, n’aient point encore renoncé à rendre à l’Allemagne du côté de l’ouest les anciennes frontières de l’empire. » Mais l’organe du parti russe daignait contenir cette gloutonnerie teutonique avec laquelle il sympathisait si bien. Il se contentait de la neutralité allemande. « La Prusse, disait-il en concluant, a dans de certaines limites avec l’Autriche, et complètement avec le reste de l’Allemagne, des intérêts politiques communs. Là est la force du cœur de l’Europe, force collective dont la neutralité commande le respect. Mettons-nous derrière ce rempart auquel on ne saurait toucher impunément. »

L’opposition, dans la deuxième chambre, voulut éclaircir cette situation. Une interpellation collective signée par cent quatorze députés appartenant à la gauche, aux fractions catholique et polonaise, et à la nuance Bethmann-Hollweg, fut adressée au ministère dans la séance du 13 mars. On demandait aux ministres jusqu’à quel point l’accord constaté par les conférences de Vienne avait amené une entente de la Prusse avec les cabinets de Paris, de Londres et de Vienne, et si le gouvernement de sa majesté était prêt à s’expliquer sur l’attitude qu’il comptait prendre dans la guerre qui était sur le point d’éclater. Le président de la chambre, M. de Schwerin, appuya l’interpellation. On n’obtint de M. de Manteuffel que quelques mots de réponse. Il renvoya les explications au moment où le projet d’emprunt serait présenté. « Quant au point principal de l’interpellation, dit-il, je ferai remarquer, afin de tranquilliser le pays, que les flottes alliées que nous verrons incessamment entrer dans la Baltique appartiennent à des puissances avec lesquelles la Prusse,