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sans fin sur les obligations qu’il lui impose. Il faudra démêler tout cela à travers les illusions bien intentionnées du roi, les vues perfides et les sourdes menées du parti russe, l’effacement, la docilité passive et les sous-entendus de M. de Manteuffel jusqu’à la disgrâce totale et définitive des partisans de l’alliance occidentale.

Le trait caractéristique de la période dans laquelle nous entrons, c’est que Frédéric-Guillaume IV voudra y jouer un rôle actif. Après l’incident que nous venons de raconter, le roi de Prusse était dans la disposition d’esprit d’un souverain qui croit avoir sauvé son autorité du mauvais usage qu’en voulaient faire ses mandataires, et pense avoir ressaisi son pouvoir au moment où il allait être aliéné au profit d’une politique contraire à ses vœux et à ses espérances. On lui attribue un mot qui peint bien le sentiment qu’il avait des devoirs que lui imposaient la gravité des circonstances et la responsabilité de la couronne : « Le temps des diplomates est passé, aurait-il dit vers cette époque, c’est maintenant aux rois à faire leurs affaires. » Mais sur la situation dont sa conscience lui commandait de prendre en mains la direction, quels étaient ses aperçus, ses desseins, ses idées ? Il est moins difficile qu’on ne croit de répondre à cette question intéressante, car il ne faut jamais oublier que le roi de Prusse est le moins dissimulé des souverains, et que les hommes qui l’entourent et usurpent sa confiance sont les plus indiscrets des courtisans.

Dans la question d’Orient, telle que l’avaient posée les prétentions du prince Menchikof, une chose touchait particulièrement chez le roi de Prusse l’honnête homme et le chrétien : c’était le point de vue religieux. Aussi, lorsque les puissances occidentales eurent obtenu de la bienveillante équité du sultan l’égalité des droits civils pour les chrétiens de l’empire ottoman, la question parut à Frédéric-Guillaume résolue au fond. Il lui semblait qu’après un pareil résultat la Russie n’avait plus rien à demander, et il se flattait d’amener le tsar à se déclarer satisfait et à traiter sur cette base. Dans la candeur de ses espérances, le roi ne se rendait pas compte du véritable mobile qui portait la politique russe à réclamer un patronage religieux en Orient. Ce que voulait le cabinet de Pétersbourg, le roi n’avait pas l’air d’y prendre garde; c’était de deux choses l’une : ou bien que les privilèges des rayas découlassent d’un engagement contractuel de la Porte envers la Russie, ou bien que la situation des chrétiens, restant mal définie, lui permît de réclamer à tout propos pour eux, de réclamer seul et d’intervenir sans cesse dans les affaires de la Turquie. Le roi reconnaissait bien, il est vrai, les torts de la Russie; mais, s’obstinant à la confiance, il croyait que l’empereur Nicolas céderait à la raison. Il soutenait que le tsar n’avait pas d’ambition. Si on l’arrêtait par l’expression d’un doute, il répétait la protestation célèbre de