Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 8.djvu/946

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pays une politique sérieuse et digne de lui. Ils se sentaient portés par l’opinion nationale ; ils voulurent en finir d’un coup avec la politique d’arguties et de tâtonnemens poursuivie par leurs adversaires. La probité du roi leur garantissait qu’en obtenant sa signature au bas de la convention, ils assuraient la rectitude future de la politique prussienne et prévenaient les contradictions et les défaillances auxquelles nous avons en effet assisté depuis neuf mois. Ils furent donc plus pressans qu’habiles auprès du roi. Après plusieurs assauts inutiles, MM. de Manteuffel, de Pourtalès, de Bonin, parlèrent de donner leur démission; le prince de Prusse ne cacha pas non plus, à ce que l’on rapporte, le déplaisir avec lequel il verrait le succès des idées russes. La question, ainsi posée par les partisans de l’alliance occidentale, ne pouvait se terminer que par une victoire décisive ou une défaite signalée. Plus honnêtes qu’adroits, ils allaient apprendre à leurs dépens et au détriment de leur cause que la ligne droite n’est pas toujours, sur un certain terrain, le plus court chemin d’un point à un autre.

Déjà quelques jours avant que n’eût commencé la crise de la convention, les ministres de France et d’Angleterre, M. de Moustier et lord Bloomfield, avaient prévenu M. de Manteuffel que leurs gouvernemens allaient adresser à la Russie la sommation d’évacuer les provinces danubiennes, et que de la réponse de la Russie dépendrait la question de paix ou de guerre. M. de Manteuffel avait promis d’appuyer cette sommation. On connut à Berlin le 27 février le discours où lord Clarendon fit part à la chambre des lords de l’envoi de la sommation et du concours que la Prusse et l’Autriche devaient prêter à cette démarche. Ce discours et la netteté avec laquelle y étaient exposées les conséquences de la sommation et du concours des puissances allemandes émurent le roi. Le soupçon lui vint que pour que lord Clarendon se fût cru autorisé à tenir un langage aussi positif, il fallait que l’on eût donné en son nom à Londres des assurances par lesquelles on l’aurait engagé à son insu au-delà de sa volonté. Cela redoubla ses défiances à l’égard de la convention, dont le projet fut présenté le 28 février par le ministre d’Autriche, M. de Thun. L’Autriche aurait voulu que cette communication demeurât secrète ; mais deux jours après elle était connue de toute la cour, qu’elle mettait en ébullition. Le roi refusa sa signature, et il croyait en cela rendre service à l’empereur d’Autriche. Il était impossible, suivant lui, que l’empereur d’Autriche signât cet acte avec plaisir, et il pensait qu’au fond François-Joseph ne lui saurait pas mauvais gré de son refus. On ne s’arrêta pas au premier mouvement du roi ; on chercha à le rassurer sur les intentions de la France et de l’Angleterre et à lui faire comprendre qu’on ne voulait pas attenter le