Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 8.djvu/941

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

politique occidentale, à laquelle tous les hommes qui ont le sentiment de l’honneur et de la grandeur de l’Allemagne ambitionnaient de voir leur pays associé. Bien des gens osaient dire maintenant ce qu’ils n’auraient pas osé penser plusieurs mois avant. Dans les chambres, les libéraux modérés, les amis du prince de Prusse, s’étaient entièrement rapprochés du parti bureaucratique et conservateur dont M. de Manteuffel est le chef, sous l’influence de la nouvelle direction imprimée à la politique extérieure par le rejet des propositions russes. Ce parti, qui nous était autrefois hostile, revenait à la France grâce à notre union avec l’Angleterre. M. de Pourtalès, collaborateur de M. de Manteuffel aux affaires étrangères, repartait pour Londres, où il allait remplir une nouvelle mission de confiance. L’alliance occidentale avait ses partisans déclarés, et, chose plus extraordinaire, la fermeté de la politique autrichienne, le rôle indépendant et élevé que cette politique rendait à l’Allemagne, gagnaient à l’Autriche des sympathies prussiennes. Le parti de la croix, le parti russe, en butte aux défiances de l’opinion, semblait être devenu impuissant à la cour. La mort venait de lui enlever, dans la personne du comte de Stolberg, un de ses meilleurs appuis auprès de Frédéric-Guillaume. Le général de Gerlach, qui avait essayé de prêter son entremise à des communications directes de M. de Budberg au roi, s’était vu renvoyé par ce prince à M. de Manteuffel. Le roi traitait très froidement les amis de la Russie, et ne leur permettait plus de l’entretenir d’affaires. Le jeu de la diplomatie russe était compromis; décidément elle avait perdu à Berlin la première partie,


II.

Après l’affaire de Sinope, exécutée contrairement à la promesse de la Russie de ne point entreprendre d’opération offensive contre la Turquie tant que dureraient les négociations, la France et l’Angleterre, qui avaient leurs escadres au Bosphore, durent interdire à la flotte russe la navigation de la Mer-Noire. A la suite de la déclaration des puissances maritimes à ce sujet, la Russie rompit avec elles les relations diplomatiques. La France et l’Angleterre étaient donc entrées dans une situation plus tranchée vis-à-vis du cabinet de Pétérsbourg que celle où se trouvaient encore l’Autriche et la Prusse. L’attitude active et militante qu’allaient prendre les nations maritimes n’était cependant que la conséquence naturelle et nécessaire des principes proclamés en commun à Vienne par les quatre puissances. L’intégrité de l’empire ottoman, l’indépendance du sultan, la participation de la Turquie à la sécurité générale qui résulte de cette solidarité collective que l’on appelle l’équilibre européen, tels