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La Russie avait d’ailleurs à Berlin deux agens qui n’étaient pas hommes à laisser dormir les moyens d’influence que leur fournissait la ferveur moscovite du parti de la croix. L’un était le ministre russe, M. de Budberg, l’autre le général de Benkendorf, attaché à la légation pour les affaires militaires. M. de Budberg est un des représentans achevés de la diplomatie russe hautaine et impérieuse. Il affectait les allures vives et cassantes; il ne tarissait pas d’exagérations sur la puissance de son maître; il s’efforçait d’éblouir par son ostentation et son mouvement de courriers, de bateaux à vapeur, de convois spéciaux lancés à toute vitesse sur les chemins de fer; il prenait enfin le ton et les airs de supériorité du ministre d’une puissance prépondérante. Dédaigneux pour M. de Manteuffel, toutes ses sympathies et ses caresses étaient pour le parti de la croix. Il s’y était noué des relations dans le plus intime entourage du roi, qui ne lui laissaient ignorer aucun des mouvemens les plus secrets de la cour de Potsdam, et qui lui permettaient d’arriver à l’oreille de Frédéric-Guillaume IV en passant par-dessus son ministre. Le général de Gerlach était son ami le plus actif et son plus utile auxiliaire. Il est plus d’une fois arrivé que, par l’intermédiaire du général de Gerlach, des communications du cabinet de Saint-Pétersbourg ont été placées sous les yeux du roi avant d’avoir été portées à la connaissance du président du conseil. L’envoyé militaire de la Russie, le général Benkendorf, neveu de la princesse de Lieven si connue à Paris, avait une attitude plus digne et plus considérée. Il était chargé d’agir sur les chefs de l’armée et d’entretenir la popularité de l’empereur Nicolas parmi les officiers des corps privilégiés. On sait tout ce que l’empereur Nicolas a mis de calcul, de persévérance et d’art à s’attacher les états-majors des armées allemandes. Pluies de décorations, distinctions flatteuses, prévenances touchantes, gracieuses familiarités, l’empereur Nicolas, dans ses fréquentes tournées en Allemagne, a prodigué toutes ses séductions personnelles, et l’on sait qu’elles sont grandes, pour gagner les cœurs des généraux autrichiens et prussiens. La tâche des envoyés militaires de la Russie auprès des cours germaniques est de cultiver les semences laissées par l’action personnelle de leur souverain dans les rangs élevés des armées allemandes, La situation du comte de Benkendorf dans la société de Berlin, ses amitiés, son adresse, s’adaptaient merveilleusement à ce rôle. De tous côtés donc la politique russe avait de fortes positions à Berlin. La Kreuz-Zeitung lui donnait la majorité de la noblesse, et parmi les esprits spéculatifs tous les théoriciens de l’école ultra-conservatrice. Elle avait des intelligences dans le ministère, où le parti de la croix était représenté par M. de Westphalen, et jusqu’auprès du président du conseil parle directeur des affaires