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France, on la craignait par souvenir; quelques hommes haineux et passionnés s’efforçaient de raviver le mouvement national de 1813, devenu un radotage de vieillard, en attribuant au gouvernement français des desseins d’agrandissement vers le Rhin, sous le masque de sa politique orientale.

Il y avait en effet en Prusse un parti ouvertement russe et anti-français, le parti de la croix. Ce parti, qui joue un si grand rôle à Berlin depuis 1848, a pour base en religion le piétisme, dans la politique intérieure l’intérêt féodal, dans la politique étrangère l’alliance russe. C’est le résumé et l’exagération de toutes les idées et de tous les intérêts réactionnaires. On a bien eu raison de dire de lui qu’il est petit, mais puissant. Impopulaire dans le pays, dont il blesse tous les instincts, il répare cette défaveur par son activité, son audace, sa violence et surtout par les hautes influences dont disposent ses chefs. Il compense largement par son crédit à la cour la répulsion qu’il inspire au peuple prussien. Le lien et l’organe de ce parti est la Nouvelle Gazette de Prusse, la Kreuz-Zeitung, la Gazette de la Croix, qui lui a donné son nom. Ce journal, fondé en 1848, avait défendu avec une extrême énergie les idées conservatrices contre les entraînemens révolutionnaires, et s’était acquis par là des amitiés et des concours considérables. Le président de Gerlach, un des meneurs les plus fougueux du parti piétiste et féodal et frère du général de Gerlach, aide de camp du roi, était son collaborateur habituel; M. de Bismark, représentant de la Prusse à Francfort, y avait écrit, en 1848. On dit que de hauts personnages ont plusieurs fois aidé par de fortes libéralités l’existence de la Gazette de la Croix. Un fait qui s’est passé au mois de juillet de l’année dernière donnera une idée de la puissance de ce journal dans son parti. La Gazette avait attaqué vivement M. de Manteuffel; le ministre se plaignit au roi, et le roi exigea que l’on fît cesser la polémique du journal contre le président du conseil. Le rédacteur en chef de la Gazette, M. Wagner, choqué de la pression qu’on voulait exercer sur lui, donna sa démission. Grand émoi dans le parti. Un ministre, M. de Westphalen, et le chef du cabinet du roi, M. Niebuhr, se rendent en personne auprès de M. Wagner pour le supplier, et il se fit prier, de reprendre la direction du journal. Peu de temps après, une souscription recueillie dans le parti dota M Wagner d’une somme considérable, et on le fit entrer dans la seconde chambre. On voit de quels appuis est entouré le journal qui défend à Berlin l’alliance russe comme le premier dogme de la foi conservatrice, et qui prétendait sans cesse, au commencement de 1853, qu’en intervenant dans les affaires de Constantinople, le, but secret de la France était la conquête de la Belgique.