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les battemens et les sanglots silencieux de son cœur, tout prêt à se laisser, aller au désespoir.

« Lorsque la prière fut terminée, elle ne se leva point, elle ne le pouvait pas ; mais elle resta agenouillée, la tête ensevelie dans les draps du lit. Un moment, il se fit dans la chambre un silence solennel ; enfin le vieillard posa la main sur la tête de Gerty, qui leva les yeux.

« — Vous aimez miss Emily, n’est-il pas vrai, petit oiseau[1] ?

« — Oui, en vérité.

« — Vous serez pour elle un enfant soumis lorsque je ne serai plus ?

« — Oh ! oncle True, dit Gerty en sanglotant, vous ne pouvez pas me laisser. Je ne puis pas vivre sans vous, cher oncle True.

« — C’est la volonté de Dieu de m’appeler à lui, Gerty. Il a toujours été bon pour nous, et nous ne devons pas douter de sa bonté maintenant. Miss Emily peut faire pour vous plus que je n’ai fait, et vous serez heureuse avec elle.

« — Non, je ne serai pas heureuse, je ne le serai plus dans ce monde ! Je n’ai été heureuse que lorsque vous m’avez prise avec vous, et maintenant, si vous mourez, je voudrais mourir aussi.

« — Vous ne devez pas désirer de telles choses, chérie. Vous êtes jeune, et vous devez rester dans le monde pour essayer d’y faire le bien, en attendant votre tour de partir. Je suis un vieillard et ne suis plus qu’un fardeau.

« — Non, non, oncle True, dit tendrement Gerty, vous n’êtes à charge à personne, vous ne l’avez jamais été. Je voudrais ne vous avoir jamais été à charge.

« — Quant à cela, cher petit oiseau. Dieu le sait, vous avez été longtemps au contraire la joie de mon cœur. Je suis seulement fâché de penser que vous passez là tout votre temps auprès de moi, au lieu d’aller à l’école comme autrefois ; mais nous ne sommes pas libres de nous-mêmes, nous dépendons de Dieu d’abord, nous dépendons d’autrui ensuite. Et ceci me rappelle, Gerty, ce que j’ai à vous dire. Je sens que Dieu va m’appeler bientôt, plus tôt que vous ne pensez. D’abord vous pleurerez et vous aurez bien du chagrin sans doute ; mais miss Emily vous prendra avec elle, et vous dira, pour vous consoler, de bonnes paroles. Elle vous dira que nous serons tous réunis de nouveau un jour, et que nous serons heureux dans ce monde où il n’y a plus de séparation ; Willie fera aussi tout ce qu’il pourra pour vous consoler dans votre douleur, et un jour vous pourrez sourire encore comme autrefois. D’abord, et peut-être pendant longtemps, vous serez une charge pour miss Emily, elle aura beaucoup de dépenses à faire pour vous, et ce que j’ai besoin de vous dire, c’est que l’oncle True espère que vous serez aussi bonne que possible, et que vous ferez tout ce que miss Emily vous dira de faire ; puis peu à peu, à mesure que vous grandirez, vous pourrez lui rendre quelques services. Elle est aveugle, vous le savez ; vous devez donc avoir des yeux pour elle. Elle n’est pas forte, et vous devez prêter à sa faiblesse l’appui de votre bras, comme vous l’avez fait pour moi. Si vous êtes bonne et patiente. Dieu vous donnera un cœur tranquille, et lorsque vous serez triste et affligée, pensez au vieil oncle True, et comment il avait l’habitude de dire : Sois gaie, petit oiseau ! car je suis de cette opinion que tout finira par s’arranger. Que tout

  1. Birdie, expression familière.