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ses pas. — Je me demande, dit à son tour Mme Grumble, si quelqu’un aura soin de moi comme cet enfant a soin de son grand-père, lorsque je serai vieille et infirme. Je jurerais bien que non. » Le robuste boucher, aux joues rosées, à qui Gerty a donné sa pratique, se penche avec politesse vers la jeune fille pour lui demander à voix basse quel genre de nourriture peut prendre M. Flint. « Pensez-vous, dit-il, qu’il aime les petits pois ? J’en ai là de tout frais; s’il les aime, je vous en enverrai une ou deux mesures. » Chacun admire et aime Gerty sans la connaître; elle appelle la sympathie. Quant à sa beauté, c’est là une question controversée. « Elle est laide à faire peur, » dit la jeune miss Isabelle Clinton, la fille du patron de Willie, sottement orgueilleuse de sa beauté régulière et de sa grande fortune. Tel n’est pas l’avis de sa cousine Kitty Ray : « Je ne puis comprendre, Isabelle, que vous ne la trouviez pas jolie. J’admire sa physionomie. » Willie lui-même, l’amoureux Willie, est indécis et n’ose déclarer que Gerty soit belle; mais, belle ou non, Gerty attire invinciblement les regards, car elle dispose de cette force de sympathie qui, mieux que la beauté et même que les dons de l’esprit, sait enlever les cœurs.

Les promenades de l’oncle True eurent bien vite un terme. Il put mourir sans inquiétude sur le sort de Gerty; la jeune aveugle, miss Emily Graham devait recueillir l’orpheline. Le vieillard ne connut pas les douleurs de l’agonie et les souffrances du dernier adieu, car l’ange du sommeil se chargea d’accomplir les fonctions de l’ange de la mort.


« Ce soir-là, lorsque Gerty eut fini de faire à haute voix, comme elle en avait l’habitude à l’heure du coucher, sa lecture de la Bible, True l’appela à son chevet et lui demanda, comme il l’avait fait fréquemment dans les derniers jours, de répéter sa prière favorite pour les malades. Gerty s’agenouilla au bord du lit et se rendit à sa demande avec un empressement solennel et touchant.

« — Maintenant, chérie, la prière pour les morts. N’y en a-t-il pas une dans votre petit livre ?

« Gerty trembla : il y en avait une et très belle, que la pensive enfant, à qui l’idée de la mort était familière, savait par cœur; mais pourrait-elle la réciter ? Pourrait-elle commander à sa voix ? Tout son être était en proie à l’agitation. Cependant l’oncle True désirait entendre cette prière, qui serait pour lui un soulagement; elle essaierait donc. Appelant à elle toute son énergie et toute sa puissance de volonté, elle commença, et, gagnant de la force à mesure qu’elle récitait, elle alla jusqu’à la fin. Une ou deux fois sa voix lui fit défaut; mais à force d’efforts et en dépit des larmes qui l’étouffaient, elle réussit à accomplir sa tâche. Sa voix résonnait si calme et avec un timbre si clair, que l’oncle True ne fut pas troublé un instant dans ses dévotions par la pensée de la douleur de sa fille, car heureusement il n, pouvait entendre