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où elle va contempler cette féerie quotidienne, lorsque tout à coup la voix de Nan Grant retentit : — Gerty, êtes-vous allée chercher le lait ? — Pas moyen d’échapper; il lui faut accomplir l’ennuyeuse commission, et pendant ce temps l’allumeur viendra, elle sera privée de son spectacle. Elle se hâte donc, et dans sa précipitation se heurte contre l’échelle de son ami inconnu. « Eh bien ! voilà le lait par terre, dit le vieillard; que dira maman ? Allons, si la vieille se fâche, tu répondras que c’est moi qui suis le coupable. »

Malheureusement la vieille mégère n’était pas aussi facile à apaiser que le supposait le bon allumeur de réverbères. Gerty fut battue, privée de souper et envoyée au lit. Aussitôt qu’elle se vit enfermée, l’indignation et la rage s’emparèrent de son petit cœur; elle se précipita vers la porte et la frappa en criant dans un de ces éclats de colère passionnée qui lui étaient habituels : « Nan Grant, je vous hais ! vieille Nan Grant, je vous hais! » Puis, lorsque cet orage fut passé, elle ne pensa plus à l’odieuse Nan Grant, et ses pensées enfantines prirent une direction tout opposée. Elle se mit à contempler les étoiles aussi passionnément qu’elle avait tout à l’heure injurié Nan Grant. « Il en avait une surtout, une si large, si brillante, si douce à contempler cependant, qui semblait lui parler et dire : — Gerty, Gerty, pauvre petite Gerty ! — Cette étoile semblait pareille à une douce physionomie qu’elle avait contemplée il y avait longtemps, ou dont peut-être elle avait rêvé. Soudainement une pensée s’éleva dans son esprit : — Qui a allumé cette étoile ? Quelqu’un l’a allumée, quelque bonne personne, j’en suis sûre! Comment a-t-il pu monter si haut ? — Et Gerty s’endormit en se demandant qui avait allumé l’étoile. » Dès cette première scène, on aperçoit la double nature de l’enfant et les passions contraires qui lutteront en elle. Laquelle dominera ? La haine ou l’amour ?

Le lendemain, l’enfant sortit de bonne heure et s’en alla rêver sous un petit abri qu’elle s’était choisi dans un chantier voisin, car elle était toujours seule et évitait avec soin la compagnie des enfans de son âge. Le temps était froid, et Gerty n’avait pas de souliers. L’allumeur de réverbères lui avait promis de lui apporter quelque chose; si c’était seulement une paire de souliers! Le vieux Trueman Flint (c’était le nom de l’allumeur) vint en effet à l’heure habituelle et lui remit son présent : un beau petit chat, au poil bien soyeux. « Voici la petite créature que je vous avais promise, dit-il; ayez-en bien soin, ne lui faites pas de mal, et si, comme je le suppose, il ressemble à sa mère, qui est à la maison, vous l’aimerez bientôt. » Gerty avait souvent pensé à apprivoiser quelqu’un des matous du voisinage, mais elle avait hésité en songeant à la difficulté de le nourrir, lorsqu’elle-même était nourrie à peine. Il fallait cacher à Nan Grant