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ramena jusqu’aux Pyrénées; de telles causes suffisent pour expliquer le décousu d’opérations presque impossibles à suivre, tant elles sont dépourvues de direction et d’unité.

Au milieu de ces obstacles, aggravés chaque jour par le dédain des généraux français et par l’absence de toute ressource financière, Joseph s’efforça néanmoins de poursuivre un système. Quelque incertain qu’en pût être le résultat, après les cruels événemens qui avaient séparé les deux nations, il faut bien reconnaître que ce système était le seul dont l’application pût être tentée avec quelques chances de succès. A Naples, Joseph s’était montré empressé de s’entourer de fonctionnaires français, et on l’avait vu sollicitant presque toujours en vain de l’empereur l’autorisation de les appeler à de grands emplois publics. En Espagne, il professa une politique toute contraire. N’appelant auprès de lui que le très petit nombre d’Espagnols dévoués à sa cause, il repoussa avec persévérance tous les Français, ne cédant pas même sur ce point aux injonctions de l’empereur. Le nouveau roi n’eut qu’une seule pensée, celle de rassurer l’Espagne sur la conservation de sa nationalité, et de donner satisfaction à ses jalouses susceptibilités contre la domination étrangère. Cette préoccupation, à peu près nulle au-delà des Abruzzes, était en effet dominante de l’autre côté des Pyrénées, et s’il avait existé pour une dynastie imposée par la France une sérieuse possibilité de faire oublier le vice de son origine, c’eût été en se présentant comme la dernière garantie de l’intégrité de la monarchie menacée par l’ambition impériale. Tel fut le rôle qu’entreprit de jouer le roi Joseph, et dont il s’efforça fort infructueusement de faire admettre à son frère la convenance et la nécessité.

Cette affectation à repousser l’influence française, qu’à vrai dire la triste situation de Joseph ne comportait pas, lui fit perdre malheureusement plus de terrain à Paris qu’elle ne lui en fit gagner à Madrid; elle éveilla les plus vives irritations de l’empereur sans rapprocher de lui les Espagnols. Toutefois, lorsque le sort des armes devenait décidément favorable à la France, et que l’insurrection recevait quelque grand coup, le patriotisme castillan, qui voyait dans la royauté le symbole de sa nationalité même, ne repoussait pas d’une manière absolue la perspective d’indépendance que s’efforçait de lui ménager Joseph, et, plutôt que de se laisser morceler, l’Espagne inclinait par momens à subir cette royauté représentée par un prince honnête et protégée par une force qui semblait encore commander à la fortune. Cette sorte de demi-retour vers Joseph, comme moyen d’éviter l’absorption au sein du grand empire, devient plus sensible chaque fois que l’étoile de Napoléon reprend son éclat. On en demeure frappé à la fin de 1809 après la bataille de Wagram. La