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Il y obligea le roi, qui écrivit un billet ostensible pour le duc de Portland. Cette puissance de la vérité, qui se fait toujours entendre et rarement obéir, amenait Pitt, amenait George lui-même à reconnaître que le mieux serait enfin de former une nouvelle administration sur une large base et sur un pied honorable et égal (fair and equal), Portland et Fox ne pouvaient refuser d’admettre le principe; mais la vengeance leur tenait au cœur. Ils soutenaient que pour qu’il y eût ègalité, il fallait que Pitt commençât par donner sa démission de premier ministre. Pitt interprétait l’égalité dans le sens d’équité.

Après les procédés réciproques, la réconciliation était difficile; elle eût été médiocrement digne. Lord Chatham s’était bien au même prix rapproché dans son temps du duc de Newcastle, et cette coalition avait été justifiée et couverte par l’éclat des victoires de l’Angleterre. On ne pouvait en 1784 compter sur le même genre d’apologie. Les négociations, entamées par raison, mais sans goût, échouèrent, et Fox ne le regretta pas. Il s’imaginait toujours qu’un rapprochement n’avait rien d’indispensable et que l’avenir était à lui. Burke, dont la supériorité d’esprit ne brillait pas dans l’appréciation des circonstances, a toujours passé pour l’avoir encouragé dans une confiance imprudente. Il avait méconnu tous les dangers du bill de l’Inde; il méconnut ceux de la situation nouvelle. La juste irritation des amis de la prérogative parlementaire les aveuglait sur leurs forces. C’est une des choses les plus importantes et les plus difficiles dans un état libre que de saisir avec certitude le degré auquel les sentimens enfantés par les luttes de chambre sont partagés par le public. Il peut arriver que l’indignation la plus naturelle, la mieux fondée, d’une partie d’une assemblée contre une autre trouve la nation parfaitement froide, et ne soit pas même comprise de ceux chez qui elle ne s’est pas spontanément développée. Les passions des hommes d’état ne retentissent pas nécessairement dans les passions populaires, et plus ceux-là sentent avec énergie, plus ils ont de pente à croire que la nation ressent tout ce qu’ils éprouvent et vit pour ainsi dire en eux-mêmes. Fox, sans rien écouter, déclara donc la guerre la plus violente à Pitt, pour qui la persévérance devint la seule voie de l’honneur et du salut. Les fautes de ses adversaires, qui allèrent jusqu’à frapper d’un interdit moral le droit de dissolution dans les mains du roi, rendirent sa cause meilleure et son plan moins périlleux. La nécessité lui donna de l’audace, et l’appel au pays lui donna la victoire.

Les élections de 1784 furent une leçon pour Fox et ses amis. Elle était méritée peut-être, mais elle fut bien sévère. Pour Fox et pour l’avenir de l’Angleterre, elle affaiblit trop le parti whig. La force inattendue de la majorité nouvelle ne peut s’expliquer que par la