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Fox ne lui fit pas. Ce dernier proposa pour la trésorerie le lord-lieutenant d’Irlande, le duc de Portland, qui avait le rang, la considération, mais qui pour l’expérience et les talens n’égalait ni Richmond, ni Shelburne. On devine comment fut reçu ce dernier, quand il annonça que le choix du roi s’était fixé sur lui, et qu’il n’avait pu refuser. Fox donna aussitôt sa démission; mais, quoique approuvé et suivi par le chancelier de l’échiquier, lord John Cavendish, et le payeur général Burke, il n’obtint pas l’assentiment unanime de son parti ni du public. On pensait avec raison que la difficulté de la situation exigeait le concours de tous les efforts, au prix même de quelques sacrifices, et que le seul moyen de rétablir dans leur vérité, dans leur énergie, les principes constitutionnels, c’était, au lieu d’opérer dans les partis de nouveaux fractionnemens, de coaliser toutes les opinions conciliables, et d’unir tous les talens et toutes les ambitions pour la victoire commune des grands talens et des grandes ambitions.

Qu’aurait-on dit, si l’on avait pu prévoir les futures conséquences de cette rupture, si l’on s’était douté qu’elle traînât à sa suite et la décomposition de l’ancien parti whig, et la naissance d’un torisme nouveau, et la dissidence éternelle, l’éternelle inimitié de Pitt et de Fox, et peut-être, si rien n’est fatalement réglé dans ce monde, les longs déchiremens de l’Europe dans une guerre dont le monde n’a pas vu l’égale ?

Bien que lord Shelburne eût gardé avec lui la majorité du ministère, la retraite de Fox, de Burke, de Cavendish le laissait pour ainsi dire sans défense dans la chambre des communes. S’il était réduit à les remplacer par des hommes de seconde ligne, la tentative même de gouverner devenait impossible. Dès le premier moment de la crise. Fox rencontra Pitt dans la galerie de la chambre, et, questionné par lui avec une inquiétude qui semblait bienveillante : «Oui, lui dit-il, le cabinet est dissous, l’ancien système va renaître. Ils ont les yeux sur vous. Sans vous, ils ne peuvent rien faire; avec vous, je ne sais. — S’ils comptent sur moi, répondit Pitt, ils pourront bien se trouver déçus. » Fox, en racontant cette conversation à ses amis, ajoutait : « Et moi, je crois qu’ils comptent effectivement sur lui, et je crois qu’ils ne seront pas déçus. » Quelques jours après, Pitt, en acceptant le titre de chancelier de l’échiquier, devenait ministre dirigeant dans la chambre des communes, et se plaçait à vingt-trois ans à la tête du gouvernement de son pays. Au risque de scandaliser la philosophie de l’histoire, je demanderai si l’on est bien sûr que ce résultat accidentel d’une crise ministérielle n’ait pas été pour quelque chose dans les plus grands événemens du siècle. Qui sait si un autre dénoûment n’eût pas suffi pour donner un autre cours