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peuples privilégiés un suffisant contingent de faiblesses et de violences et leur histoire ne les montre que trop exempts de cette perfection philosophique ou chrétienne qu’on leur impose pour décourager leurs imitateurs. Sous quelques lois que les hommes se rangent, le mal garde sa place, et une grande place dans les sociétés qui se gouvernent elles-mêmes. Là, ni l’intérêt, ni l’ambition, ni Ia haine, ni la colère ne sont choses proscrites. Il est même certaines passions, les plus viriles à la vérité, qui y fleurissent comme sur leur sol naturel. D’autres enfin, qui ne sont pas celles des forts, n’y demeurent point pour cela inconnues. La dissipation, le luxe, la licence des mœurs, sans être encouragées par les institutions libérales, peuvent coexister avec elles et se déployer à leur ombre. La liberté ne commande ni le rigorisme, ni l’humilité, ni l’abnégation. Elle laisse un champ ouvert à ces désirs turbulens que ne contente pas une vie calme et modeste. Elle les tolère, et parfois même elle les accepte, elle les emploie, elle les intéresse à sa cause. Elle s’empare de l’énergie des âmes et lui donne un but nouveau. Ce qui gagne avec elle, ce ne sont pas les mœurs, mais quelquefois, il faut bien l’avouer, ce sont les caractères.

Dans nos esquisses de la société politique anglaise, nous n’avons pas caché notre estime et notre sympathie, mais sans jeter un voile sur les passions qui animaient la scène historique. Le XVIIIe siècle particulièrement a été en Angleterre signalé par des mœurs qui rappellent Rome plutôt que Sparte. Les injustices des partis, les excès de l’ambition, du ressentiment, de la cupidité, de la vengeance, une hardiesse qui va jusqu’à l’impudence dans l’âpreté de l’intérêt personnel masqué sous l’intérêt public, voilà ce que nous avons montré ou laissé voir sans restriction ni complaisance au temps de Bolingbroke, de Walpole, de Chatham, et en louant beaucoup, en admirant plus encore, nous n’avons rien ménagé. Il y a faiblesse et danger à parer les choses humaines. On s’expose à fonder les principes sur des illusions, et à jeter tôt ou tard les esprits désabusés dans le découragement et le scepticisme. Ce n’est qu’en montrant les choses telles qu’elles sont qu’on inspire un désir raisonnable et persévérant de les améliorer. C’est dans l’histoire vraie qu’apparaît la possibilité du bien, et l’empire réel qu’il exerce là où il existe. Si malgré des corruptions célèbres, si à travers tant d’abus et de fautes, la liberté s’est maintenue et développée en Angleterre, tandis que le gouvernement gagnait en puissance et la nation en prospérité, ce tableau n’était-il pas la meilleure apologie de la réalité des choses humaines ? Mieux qu’aucune utopie, plus impérieusement que l’arbitraire conception d’une société supposée ou fardée, il enseigne à ne jamais désespérer du vrai ni du juste ; il ne sépare pas le fait du droit ni le