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lesquelles il a résumé la pensée de son livre et présenté un plan d’enseignement industriel. Suivant lui, cet enseignement, tel qu’il est aujourd’hui constitué, ne répond pas aux besoins de l’industrie. Les écoles sont peu nombreuses, trop théoriques, trop éloignées des masses ; l’instruction y est uniforme, alors qu’elle devrait varier dans les différens districts, et être appropriée au caractère du travail local, Les défauts du système sont si manifestes que déjà l’on a émis plusieurs projets de réformes. On a proposé, soit d’augmenter le nombre des écoles d’arts et métiers, soit d’annexer aux lycées et collèges, en dehors des études littéraires, un enseignement spécial qui préparerait un certain nombre de jeunes gens aux carrières industrielles. M. Audiganne ne pense pas que ces deux projets puissent être utilement adoptés. « Comme c’est en bas, dit-il, qu’on veut porter la lumière, c’est en bas qu’il faut agir. De petites écoles industrielles communales dirigées par des hommes pratiques, où les enfans seraient admis avant, pendant ou après l’apprentissage, et où ils recevraient une instruction adaptée aux exigences des industries locales, sont les seuls moyens d’arriver au but. » Indépendamment des écoles industrielles, M. Audiganne recommande la création de bibliothèques spéciales et les dons de livres. Il rappelle à ce sujet l’exemple de l’Angleterre, où de grandes manufactures possèdent des bibliothèques ouvertes aux ouvriers qu’elles emploient. Quant au mode d’exécution, comme il s’agit de besoins qui changent suivant le caractère de l’industrie dans les diverses parties du pays, M. Audiganne estime que les conseils généraux ou les conseils municipaux seraient beaucoup mieux que le gouvernement central en mesure d’apprécier ces besoins. Tel est le projet dont M. Audiganne s’attache à développer les avantages. Il nous a paru utile d’en indiquer ici les bases; il n’y a pas en effet de question qui présente plus d’intérêt pour nos populations ouvrières, et on ne doit pas perdre de vue que les pays voisins, nos rivaux en industrie, étudient très sérieusement les moyens d’organiser ou de développer l’enseignement professionnel. En Angleterre notamment, l’administration consacre aujourd’hui de larges sommes à l’entretien des écoles de dessin.

En exposant, d’après une série d’observations scrupuleusement déduites de l’examen impartial des faits, la condition des classes ouvrières, M. Audiganne a rendu à l’industrie un véritable service. « Il a dit le bien comme le mal, le premier avec contentement, le second avec ménagement. » C’est ainsi que l’un de nos écrivains les plus éminens, excellent juge en pareille matière, M. Michel Chevalier, a déjà caractérisé un fragment de cette excellente étude. On peut généraliser cette appréciation si compétente et l’étendre aujourd’hui à l’ensemble du travail que vient de publier M. Audiganne. Lors même que l’on contesterait l’exactitude de certains détails qui rentrent dans le domaine de la politique, et qui par cela même provoquent naturellement un conflit d’opinions, on ne saurait méconnaître la portée économique et l’utilité sociale d’un livre où se trouvent retracés avec une rare sûreté de coup d’œil le tableau de notre situation industrielle et la physionomie des populations ouvrières de la France au milieu du XIXe siècle.


C. LAVOLLEE.


V. DE MARS.