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sante, et en répétant une strophe nouvelle, on retrouve parfois dans sa mémoire la strophe ancienne qui lui a donné naissance.

Ainsi sont une foule de ces livres, qui voient le jour pour disparaître avant même les feuilles d’hiver. Dans les pages qu’il met sous le titre d’Amour et Poésie, M. Éliacin Greeves ne dépasse point les limites d’une inspiration intime, gracieuse et peu nouvelle. Il n’en est point tout à fait de même des Bordelaises ou Poésies de Jacques Durand, publiées par M. Théodore Durand. L’auteur mêle un peu tous les tons ; il fait des vers aux amis du progrès, sur la guerre d’Orient, à Amelina Ninette ou sur une étude de corps, donnant une suffisante idée de l’incohérence de sa poésie. Quant à l’auteur de la Plume et l’Épée, Mme Claudia Bachi, il semble parfois qu’elle veuille suivre les traces de M. de Musset, comme dans le conte du Quatrain ; puis son esprit s’échappe au hasard vers un autre ordre d’inspirations, et le livre finit par une série de pensées morales qui ne manquent pas quelquefois d’une certaine vigueur, sans atteindre à un relief bien original. Il est cependant un de ces livres qui, en se présentant sans prétention, en affectant même l’absence de toute prétention, contient plus d’un vers qui n’est point vulgaire. Il porte ce simple titre : Rimes légères, Chansons et Odelettes. L’auteur a, dit-on, un nom connu dans la poésie, et s’il en est ainsi, on ne saurait certes imaginer un plus frappant contraste que celui de ces vers nouveaux et du mode énergique des ïambes ou du Pianto. Comme le dit l’auteur, les Rimes légères sont quelques petites fleurs cueillies çà et là dans une heure de caprice et d’oubli. Le poète s’est fait à lui-même une petite anthologie placée sous l’invocation d’Anacréon. C’est ici au surplus le seul point par lequel l’auteur des Odelettes rappelle le poète grec. Il a beau affecter la forme antique, on retrouve l’inspiration toute moderne dans les meilleurs de ces fragmens, notamment dans le plus remarquable peut-être, les Bords de la Mer. Il ne faudrait point d’ailleurs attacher plus d’importance que ne fait l’auteur lui-même à ces chansons légères : c’est un badinage d’imagination. Il reste à retrouver la véritable source d’où jaillira une poésie nouvelle, originale par l’expression comme par la force des sentimens et des inspirations.

Que les lettres parcourent toutes les phases ordinaires de déclin ou de rajeunissement, c’est l’œuvre de l’esprit critique de les suivre dans leurs transformations ; elles ont aussi un côté plus saisissant pour ainsi dire, quand on les observe de près, quand on considère combien d’hommes elles voient passer, qui les quittent ou reviennent vers elles, selon le hasard d’une carrière agitée. Récemment encore il mourait ici, à Paris, un homme qui était un diplomate aujourd’hui, et qui compta, il y a vingt ans, parmi les écrivains les plus brillans, mêlé à toutes les polémiques de la politique et de la littérature : c’est M. Loève-Veimars, qui entre deux missions dans l’Amérique du Sud est venu finir tristement parmi nous. Esprit pénétrant et actif, plein de souplesse et de ressources, M. Loève-Veimars avait produit plus qu’on ne pourrait dire. C’est lui qui avait popularisé en France les contes d’Hoffmann. Dans cette Revue surtout, il fut un temps où M. Loève-Veimars multipliait son activité, suivant avec une sagacité singulière et un instinct rare tous les mouvemens de la politique, toutes les crises ministérielles ou parlementaires ;