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fonctionnaires du gouvernement n’ont pas invité les personnes auxquelles on suppose de l’aisance à souscrire à l’emprunt ? Et qui peut ignorer qu’en Russie une invitation du gouvernement est un ordre ?

En niant ces faits et bien d’autres, que nous avons trouvés de notoriété publique, le gouvernement russe nous apprend qu’il a déjà répondu, mais en prenant soin de cacher sa réponse, tantôt dans quelque feuille allemande, tantôt dans un journal de Varsovie. Si le cabinet de Pétersbourg recherchait réellement la publicité, il aurait tenu une tout autre conduite : il se serait adressé au Moniteur lui-même, puisqu’il prend le Moniteur à partie, et le Moniteur n’eût pas sans doute été moins courtois que la Revue des Deux Mondes; il aurait, en un mot, battu le tambour par ses ambassadeurs dans tous les foyers de publicité; il aurait appelé partout la contradiction, certain de lutter avec avantage.

Mais ce n’est pas le système que l’on suit. La Russie est l’empire du silence; aucun bruit extérieur n’y pénètre, et aucune rumeur n’en sort. La douane établie aux frontières s’occupe bien moins de saisir ou de taxer les marchandises que d’arrêter et d’expulser les idées. Il n’y a de journaux en Russie que ceux du gouvernement, et de publiciste en définitive que l’empereur. On n’admet qu’un petit nombre de journaux étrangers, qui passent, à leur arrivée, par les mains de la censure. Celle-ci, quand elle ne les confisque pas tout à fait, répand des flots d’encre sur deux ou trois pages, ou coupe sans pitié tous les passages qui lui déplaisent. Les nouvelles ne sont pas plus épargnées que les réflexions politiques : pendant quelque temps, les abonnés du Journal des Débats à Varsovie n’en ont reçu que le feuilleton. Qu’est-ce que la presse, et quel crédit peuvent obtenir ses assertions dans un pays ainsi gouverné ? Le pouvoir a seul la parole. Quoi qu’il avance, et affirmât-il, à la connaissance de tout le monde, le contraire de la vérité, personne n’aurait la faculté ni les moyens de le contredire. Il en résulte ce qui est la conséquence naturelle du despotisme : le gouvernement a le pouvoir, mais il n’a pas l’autorité ; il empêche ses sujets de parler, mais il n’est pas toujours cru de ses sujets quand il leur parle.

Je dirais volontiers à M. de Tegoborski : « Vous affirmez que votre gouvernement n’a pas dépouillé le couvent de Tzenstochowa de ses vases sacrés, qu’il n’a pas mis la main sur la réserve de la banque foncière à Varsovie, et qu’il n’a pas touché jusqu’à présent à la réserve métallique qui forme la garantie des billets de crédit. Personnellement je ne demande pas mieux que d’ajouter foi à une déclaration aussi catégorique. Dussiez-vous me reprocher encore une fois de juger la Russie avec les idées de l’Occident, je ne puis pas supposer qu’un gouvernement se respecte assez peu pour donner sa parole en vain.

« Mais qu’importent mes dispositions personnelles dans ce débat ? L’organe du cabinet russe s’adresse au public, et c’est le public qu’il doit convaincre. Or l’opinion publique n’accepte que sous bénéfice d’inventaire les assertions